À la rencontre des sportives

Delphine Santiago :  » Il faut faire un choix entre vie de femme et vie de sportive « 

Aurélie Bresson
06.04.2020

À 41 ans, Delphine Santiago est la doyenne des femmes-jockey. Carriériste, féministe, Delphine Santiago est aussi la femme jockey à détenir le plus de victoires dans la prestigieuse catégorie des Quinté+. Une idole, aussi, pour quelques consoeurs. Il faut dire qu’avant elle, personne n’avait osé préféré sa carrière à sa vie de femme dans le métier.

 » 51″ s’affiche en symboles rouges lumineux sur l’un des écrans de la salle des balances. Delphine Santiago, les pieds sur la plaque de la pesée, regarde le chiffre d’un oeil furtif sans laisser paraître aucune expression. Comme si son poids ne lui faisait ni chaud ni froid. Rare chez une femme.

 

Un peu moins chez un jockey. Se peser est devenue un rituel pour cette quarantenaire. Du haut de son mètre cinquante, la blonde est l’une des pionnières du vestiaire. L’une des plus anciennes femmes face à l’élite des cravaches de ce sport mixte. Pourtant, ce jour-là de la rencontre (ndlr. rencontre réalisée avant la situation de confinement COVID-19 ) bien emmitouflée dans sa doudoune à fourrure rose, elle ressemble à toutes les sudistes expatriées à Paris. « Je file au massage et je suis à toi après », tutoie t-elle avec facilité.

Delphine Santiago, figure de proue 

Dans le vestiaire des « Amazones » sur l’hippodrome de Chantilly, se pressent une demi-douzaine de femmes cet après-midi d’hiver. Grandes, petites, féminines ou pas, elles ont toutes en commun une musculature plus affirmée et un taux de graisse bien plus bas que majorité des vacancières qui peuplent les plages de juin à septembre. Il faut dire qu’elles maîtrisent des animaux de 500 kilos tous les jours, plusieurs fois par jour même pour certaines, ce qui n’est pas le cas de chacune d’entre nous !

 

Entre un démêlage de cheveux laborieux et un étrange rituel de positionnement d’élastiques (les vrais, jaunâtres, qui claquent assez fort pour faire vaciller un colosse !) sur les manches d’une casaque, Delphine se fait masser énergiquement sur une table mobile. Derrière, un casier mal ordonné porte son nom. Gilet de protection renforcé, casque de cavalière et smartphone s’entremêlent dans une petite case à peine plus large qu’elle. Du moins, qu’elle dévêtue. Parce que lorsqu’elle ressort 45 minutes plus tard, équipée pour partir en courses, Delphine Santiago est nettement plus impressionnante.

« Parce que si le sport est mixte, il est vrai les femmes sont encore sous-représentées au plus haut niveau. »

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Le monde du cheval en mutation

« Je la monte pour elle, comme la dernière fois ? », mime t-elle à deux hommes dans le rond de présentation où tournent les chevaux avant de partir en piste. Les bras en train de tirer sur des rênes imaginaires, la jeune femme écoute poliment le plus grand des deux qu’elle appelle « monsieur ». C’est le propriétaire de la jument qu’elle monte cet après-midi-là. Une marque de respect qui n’est pas réservée qu’aux femmes selon elle : « Entre le moment où j’ai commencé et aujourd’hui, il y a une vraie différence. Moi j’ai dû bosser deux fois plus et faire le petit mec pour en arriver là. Mais aujourd’hui, je suis contente que les filles bénéficient de beaucoup plus de choses qui leurs permettent de monter autant que les hommes. »

 

Parce que si le sport est mixte, il est vrai les femmes sont encore sous-représentées au plus haut niveau. Preuve en est avec les chiffres : 65% des entrants à l’AFASEC, l’école des courses hippiques, sont des filles, contre seulement 33% dans les pelotons professionnels au galop (elles n’étaient que 18% en 2016, avant que France Galop ne mette en place des mesures de discrimination positive). Pire, Coralie Pacaut est la première femme à terminer une année, 2019, dans le Top 15 national. Comme si femme et athlète de haut niveau était un véritable paradoxe dans les courses hippiques.

« J’ai déjà eu 2/3 accidents qui m’ont forcée à m’arrêter longtemps, à chaque fois il a fallu que je reparte de zéro. Je ne veux pas avoir d’enfant. Et puis je ne pourrais pas perdre 6 mois de ma carrière. « 

Le difficile choix de la maternité

« En ce qui concerne les enfants, c’est sûr qu’il faut faire un choix , affirme Delphine Santiago.  C’est pareil dans tous les sports. Il faut faire un choix entre vie de femme et vie de sportif. J’en ai pas vu beaucoup réussir les deux. Dans les courses, il n’y a que Nathalie Desoutter (ndlr : un jockey d’obstacle) et moi qui aurions pu être mamans, mais on a mis ça de côté depuis longtemps. De toute façon je ne pense pas avoir le temps pour ça, parce que si c’est pour les faire et ne pas avoir le temps de m’en occuper, je ne vois pas l’intérêt. Et puis je ne pourrais pas perdre 6 mois de ma carrière. J’ai déjà eu 2/3 accidents qui m’ont forcée à m’arrêter longtemps, à chaque fois il a fallu que je reparte de zéro. Je ne vois pas l’intérêt. Je ne serais pas une bonne mère. »

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Une carrière hippique au sommet

Carriériste, féministe, Delphine Santiago est aussi la femme jockey à détenir le plus de victoires dans la prestigieuse catégorie des Quinté+ (14 victoires et 35 places en 316 participations). Une femme hors norme dans un sport mixte qui la tient pourtant encore en respect : Stéphane Pasquier, « Monsieur Quinté+ » comme il est surnommé par ses pairs, totalise, lui, 182 succès en 1935 montes. Un fossé que le temps et les nouvelles générations permettront peut-être de reboucher ?

 

Mickaëlle Michel, du haut de ses 22 ans, a tenu les hommes à distance au classement national pendant près de 3 mois complets. C’était aux prémices de 2018. Depuis, Coralie Pacaut a manqué de peu de conclure dans le Top10 au nombre de victoires. Toutes deux ont fait le choix de placer le sport avant tout. La recette des gagnants ? Pas le temps de répondre à cette question que Delphine repart en courant. La cloche a sonné. Il est temps pour les jockeys de se remettre en selle.

Propos recueillis par Stella Bandinu 

Aurélie Bresson
06.04.2020

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