Récit

Léna Brocard, à jamais parmi les premières

La Redaction
12.01.2022

Léna Brocard devient la première sélectionnée en équipe de France de combiné nordique féminin. Celle qui a grandi en même temps que son sport allie saut à ski et ski de fond avec talent. Et, avec la création d’une coupe du monde féminine la saison passée et l’espoir d’apparaître aux JO 2026, cette Iséroise de 21 ans souhaite susciter des vocations pour partager les compétitions avec des coéquipières.

 

Un saut dans l’inconnu

La vocation de Léna Brocard est née de la médaille de Co- line Mattel lors de l’apparition du saut à ski féminin aux Jeux olympiques de 2014. « Ça m’a donné envie d’essayer, même si je savais que ça n’allait pas trop plaire à mes parents. » Finalement, la native du Vercors a adoré ce sport impressionnant, avec « la sensation de voler », et a décidé de continuer. Son arrivée au comité du Dauphiné en même temps qu’Étienne Gouy (ancien coach de Jason Lamy-Chappuis, champion olympique de la discipline en 2010) a donné un tournant à ce qui devait être un loisir. Sous les conseils de cet entraîneur expérimenté, elle a choisi de suivre la voie du combiné nordique, « un sport en train de s’ouvrir aux femmes ». Aujourd’hui celui qui est devenu entraîneur en coupe du monde décrit l’athlète de 21 ans comme quelqu’un avec « beaucoup d’audace, très endurante et très volontaire. Je savais qu’avec ces qualités, Léna pouvait accéder au haut niveau. Elle reste très impliquée dans l’entraînement, elle est capable de faire encore de belles performances à l’avenir. »

 

« Je faisais déjà du sport avant mais c’était en loisir. J’habitais en ville (Échirolles dans la banlieue de Grenoble NDLR), je n’aurais jamais pensé que quelqu’un un jour me mettrait sur des skis. Je n’étais pas au club de ski quand j’étais petite. J’ai fait du judo, de l’équitation, du cirque, mais c’était pour être avec mes copines. » Ce parcours atypique l’est encore plus, car très peu d’athlètes commencent d’abord le saut pour ensuite se pencher sur le ski de fond. Mais elle estime ce parcours possible car elle a « eu la chance d’arriver au bon endroit, au bon moment. C’était une discipline qui montait, j’ai progressé en même temps. Le circuit s’est ouvert en fonction de mon niveau ». Son amour pour son sport s’est développé en même temps car même si le saut et le ski de fond sont « différents, ils sont complémentaires. Il y a l’explosivité d’un côté et l’endurance de l’autre. Ça te permet de te surpasser mentalement et physiquement. Et aller skier toute seule perdue dans la montagne, aller courir, être toujours dehors me plaît vraiment. »

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Une carrière sans coéquipières

En étant la première Française sélectionnée en équipe de France de combiné nordique, Léna Brocard est également la seule. Cette situation, elle la juge comme « un sacré parcours du combattant » qui nécessite de « l’adaptation permanente. » Ce sport peu développé en France et encore moins côté féminin lui a fait faire « quatre lycées en quatre ans pour pouvoir rejoindre les meilleures infrastructures pour pratiquer le combiné nordique, dont la dernière an- née au Pôle France. »
Cette absence de dispositifs est à mettre au compte du manque de licenciées qui complique leur mise en place. En étant la seule fille, elle a dû s’entraîner avec les garçons, en étant « greffée à leur groupe » sans succès. « L’hiver a été très compliqué pour moi. Pas forcément en termes de résultats purs, mais à vivre ça a été un peu l’enfer. J’ai fait huit coachs en un an alors que je suis en coupe du monde. Ça a été assez compliqué à gérer. »

 

Accompagnée jusqu’à l’été dernier par son acolyte Emma Tréand, son absence (à la suite d’une blessure) s’est d’autant fait ressentir: « L’année dernière ça ne se passait pas forcément très bien, j’attendais qu’une chose, c’était qu’elle revienne. » Mais Emma Tréand a décidé de mettre un terme à sa carrière. Pour rebondir, son entraînement et son projet ont été recentrés sur Léna Brocard. « La fédération n’a pas de budget pour le combiné et encore moins pour les filles malheureusement donc [ils] piochent où [ils peuvent]. » À la façon d’une héptathlète, Léna Brocard a rejoint l’équipe de France de saut à ski féminin sur une partie de sa préparation pour bénéficier de l’émulation et de l’expérience du groupe. À moyen terme, elle espère faire de même avec les fondeuses pour ne plus skier seule en permanence et se mesurer. Elle estime que « c’est fouilli, faut pas se le cacher. Mais dans toute différence il y a une force. Je n’ai pas forcément de filles qui sont avec moi, il y a des moments qui sont ultra-compliqués mais c’est aussi des choses en plus que je peux récupérer. C’est toujours intéressant à prendre. » Malgré l’absence de coéquipières, elle est heureuse de pouvoir compter sur la présence des garçons : « C’est toujours quelque chose en plus,  c’est une équipe top assez jeune et je m’entends bien avec. Heureusement qu’ils étaient là parce qu’être toute seule sur une compétition ce n’est pas très drôle. Ce que j’aime c’est partager et quand il n’y a personne c’est un peu compliqué. Mais si je veux faire du combiné en France, je n’ai pas vraiment le choix et j’aime ce que je fais. »

« Mais partager ces moments avec toutes ces femmes qui commencent quelque chose c’est assez fort. C’est comme une grande famille, on a écrit un bout de l’histoire de notre sport. C’est magique. »

Une voie vers l’égalité se dessine

Si le combiné nordique est sport olympique depuis la première olympiade à Chamonix en 1924, les compétitions féminines internationales ont vu le jour il y a seulement quelques années. Pour Éric Lazzaroni, membre du bureau exécutif de la discipline à la FIS (Fédération internationale de ski), « c’est l’augmentation du nombre de filles faisant du combiné qui a permis de mettre en place » ces compétitions. Léna Brocard est en train de vivre pleinement cette évolution. En 2017, elle participe à la première rencontre internationale élite d’Europe continentale qui marque le début d’une nouvelle histoire qui a pour le moment atteint son paroxysme avec la première Coupe du monde et les premiers championnats du monde l’hiver dernier.

Faire partie de toutes ces « premières » est une fierté pour la jeune combinée, même si elle ne se « rend pas forcément compte dans le sens où [elle a] fait son petit bout de chemin. Mais parfois tu te dis “Je suis allée aux championnats du monde, c’est quand même la classe!” » Même si le nombre de femmes augmente d’année en année, l’Iséroise estime « qu’il n’y a pas foule au départ. Mais partager ces moments avec toutes ces femmes qui commencent quelque chose c’est assez fort. C’est comme une grande famille, on a écrit un bout de l’histoire de notre sport. C’est magique. » Pour Emma Tréand, première championne de France en 2019, le constat est le même : « C’est un titre particulier et je suis ère de l’avoir. J’ai laissé une petite trace dans l’histoire du combiné et je trouve ça cool ! » Avec un circuit de Coupe du monde qui va s’étoffer cet hi- ver (8 courses contre 1 la saison passée, en raison du Covid) le dernier obstacle qui se dresse devant toutes ces jeunes femmes est la présence aux Jeux olympiques. Seul sport non mixte aux JO d’hiver, elles espèrent rentrer dans le programme de l’édition 2026. 

 

Constance Vignaud

Article extrait du numéro 20-21 du magazine Les Sportives

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La Redaction
12.01.2022

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