Dossier

Empow’her, l’étude de l’INSEP pour analyser l’impact des règles sur les performances sportives

Emeline Odi
13.05.2022

Alice Meignié et Juliana Antéro, chercheuses à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (INSEP), ont développé le projet Empow’her (Exploring menstrual periods of women athletes to escalate ranking). L’objectif est d’étudier l’impact des règles et des différents cycles menstruels sur les performances des sportives, pour les optimiser.

Les Sportives : Quelles problématiques étudie votre laboratoire à l’INSEP ?

Alice Meignié : Je suis à l’INSEP mais au sein de l’IRMES, l’Institut de recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport. L’institut regroupe plusieurs projets : l’initiative Paraperf, qui s’intéresse au sport paralympique et à l’optimisation de la performance autour des sportifs handicapés, le projet PerfAnalytics, qui se concentre sur l’analyse vidéo, ce qui permet de savoir comment on peut étudier les performances de haut niveau. Le projet Detect (détections des champions et des talents) vise quant à lui à estimer les chances des athlètes français à figurer au plus haut niveau de la scène internationale. Notre projet Empowe’her cherche enfin à essayer de comprendre l’impact de la physionomie féminine sur les performances sportives.

Qu’est-ce qui vous a poussée à lancer le projet Empow’her ?

On s’est rendues compte que la plupart des études scientifiques du sport étaient essentiellement basées sur un corps masculin pour ensuite être généralisées aux femmes. Or, il existe des différences de métabolisme chez les hommes. Ce qui est prodigué à l’entraînement n’est pas adapté aux femmes, comme les protocoles nutritionnels ou d’entraînements. Les scientifiques justifient l’absence de femmes dans les études par l’influence que peut avoir le cycle menstruel sur les résultats scientifiques et la performance. Cela montre à la fois que les femmes athlètes sont sous étudiées et que le cycle peut avoir un impact sur la performance. Avec notre projet, on veut combler ces deux vides en étudiant les athlètes féminines et essayer de leur apporter la clé pour optimiser leur entraînement en fonction de leur cycle.

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Ce manque d’études peut-il empêcher le développement et l’amélioration des performances des sportives ?

Je ne dirais pas qu’il empêchera leur développement, mais on peut les améliorer encore plus. On se rend compte que certaines athlètes se sentent limitées dans leur performances à cause de leur cycle menstruel et des effets qu’il peut avoir. Notre idée est d’essayer de contourner ces problèmes-là pour les athlètes.

On a tendance à généraliser le cycle menstruel pour toutes les femmes alors qu’il y a des athlètes qui performent en compétition lors de leur période de menstruation…

Exactement. Actuellement, on a 80 athlètes que l’on suit et pendant 6 mois on a suivi une quarantaine d’athlètes. On se rend compte que sur ces 40 athlètes, il y a trois profils différents. Il y a celles qui ont une influence de leur cycle, celles pour qui rien ne va changer et d’autres qui sont sous pilule. On se rend compte parfois que la pilule n’est pas adaptée parce que les femmes ont beaucoup de symptômes, ou au contraire pour certaines la pilule fonctionne bien. Les effets vont être différents d’une athlète à l’autre. Certaines vont souffrir du syndrome prémenstruel (SPM), qui regroupe tous les symptômes qui peuvent arriver avant la phase de menstruations ; d’autres vont avoir une baisse de forme pendant la menstruation.

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Cinq fédérations (aviron, escrime, football, ski et cyclisme) ont participé à cette l’étude de l’INSEP. Quels sont les résultats obtenus ?

Pour l’instant, sur les 80 athlètes il n’y a qu’une quarantaine qui ont bouclé le suivi. On a eu des résultats, on a réussi à établir le profil hormonal en lien avec la charge d’entraînement des 40 athlètes. Ca été très challengeant, parce que l’on a des sports qui ne sont pas chronométrés, donc on ne va pas avoir une performance objective. Par exemple avec l’aviron, l’escrime et le ski, ce n’était pas une performance objective mais une notation de la part des athlètes. Alors qu’avec le cyclisme, on a des capteurs de puissance et on a une valeur absolue de l’effort que va produire l’athlète. C’était un challenge, mais on a réussi à établir les profils hormonaux des femmes.

Actuellement, on essaye de passer une seconde étape. On remarque chez des sportives une certaine influence du cycle menstruel sur leur façon de s’entraîner. On va donc essayer d’adapter l’entraînement en fonction de ces différentes phases du cycle. Ce qui est intéressant, c’est que l’on n’a pas vu de sportives qui ne peuvent pas s’entraîner pendant l’une de ces phases. C’est vrai que certains paramètres vont être plus bas. Pour le savoir on évalue par exemple le sommeil, l’état moral et de forme.

Exemple de données récupérées grâce au suivi réalisé.

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Quelles étaient les questions qui revenaient le plus souvent de la part des sportives durant cette étude ?

Des sportives ont posé des questions par rapport à l’altitude parce qu’elles ont eu leur règles plus tôt que d’habitude. On a aussi des questions sur la perte ou la modification de leur cycle, dû à l’augmentation de l’entraînement. Elles nous demandent aussi comment atténuer les symptômes, afin de s’entraîner malgré leur présence, comment optimiser leurs entraînements, dans quelles phases elles se sentent le mieux.

Comment ont-elles vécu ces expériences ? Étaient-elles intrusives pour certaines ?

Le matin, les sportives remplissent un questionnaire de sept questions dans notre application. C’est assez rapide et intuitif. Elles ont des montres connectées qui nous permettent de voir leur durée de sommeil notamment. On pouvait le connecter à l’application et récupérer les données.

Il y a des athlètes pour qui cela n’a pas du tout dérangé. Pour d’autres, cela a été très dérangeant. Certaines ont malheureusement quitté le suivi parce qu’elles n’arrivaient pas à s’investir assez. D’autres sportives se sont vraiment prises au jeu ! Elles nous envoyaient des informations, des questions, elles remplissaient de manière assidue le questionnaire. Tout ce que l’on enregistre, les entraineurs n’y ont pas accès, les filles veulent être plus dans la confidence. Si jamais nous observons quelque chose d’anormal, on discute avec l’athlète pour savoir s’il faut partager ces informations-là avec son entraîneur.

À l’avenir, envisagez-vous de collaborer avec d’autres fédérations sportives ?

Bien sûr ! Pour l’instant, on manque de moyens humains pour pouvoir suivre d’autres athlètes, mais on aimerait beaucoup ! Ce qu’il faut savoir c’est qu’une fédération c’est un nouveau sport donc une nouvelle façon de travailler et d’analyser.

Les informations sur l’étude Empow’her sont disponibles sur le site de l’INSEP.

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Propos recueillis par Emeline Odi

Emeline Odi
13.05.2022

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