Chroniques des ambassadrices

Santé mentale des athlètes : Isaline Sager-Weider donne la parole

Isaline Sager-Weider
15.12.2023

Voici la chronique d’Isaline Sager-Weider, joueuse professionnelle de volley-ball depuis 2007 et joue actuellement pour le club du Volley Mulhouse Alsace. Elle évolue au poste de contreuse centrale. Joueuse de l’équipe de France depuis 2012 et vainqueure de la Golden League en Juin 2022, elle a remporté la médaille de bronze au championnat du monde militaire en juin 2018. Elle est également vice-championne de France avec l’ASPTT Mulhouse volley de 2009 à 2012, et trois fois championne de France espoir de 2007 à 2009. Elle est engagée dans le syndicat des joueurs Prosmash et en faveur du volley santé.

Dans cette chronique, Isaline Sager-Weider donne la parole à une handballeuse sur la question de la santé mentale des athlètes

Dans cette chronique, Isaline Sager-Weider donne la parole à une handballeuse sur la question de la santé mentale des athlètes

Dans cette chronique, j’aimerais parler de la santé mentale des sportives de haut-niveau. Comment ce passage de l’ombre à la lumière peut être oppressant dans la vie de certaines. Ce débordement d’émotions ingérable le plus souvent, ces remises en question permanentes du « pourquoi je fais cela », cette pression sociale qui nous empêche d’arrêter « car on a de la chance », et surtout la peur du vide : « l’après ». Chaque sportive de haut niveau a dû ressentir ce genre de questionnement plusieurs fois dans sa carrière, l’envie de tout arrêter, mais pourquoi faire ? Finalement les quelques moments d’émotions et de vibrations positives nous font tenir jusqu’aux suivantes, que l’on attend impatiemment et qui parfois mettent plusieurs mois à revenir alors que les moments de doutes et d’impatiences sont quotidiens.

Pour parler de tout cela, bien que j’ai mon opinion à exprimer et mes expériences à relater, j’ai eu envie de poser ma plume. Aujourd’hui je vous partage le témoignage d’une sportive qui souhaite rester anonyme dont le parcours a été obstrué par des défis que tous les athlètes n’auraient pu surmonter, mais qu’elle a réussi à triompher. À quel prix ? Ce qui ne tue pas rend plus fort, dit-on. Peut-être. Pas sûr. Parfois arrive l’épreuve de trop, qui apporte avec elle tous les doutes et questionnements, cette tempête intérieure que j’évoque plus haut, jusqu’à se demander si tout ce que nous avons enduré et sacrifié valait vraiment la peine.

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Une sportive se confie sur sa santé mentale

« J’attends toujours le débordement pour me mettre à écrire, j’attends toujours que mes émotions soient trop fortes pour pouvoir les supporter davantage. Depuis quelques semaines, je me dis qu’il faut que je me mette à écrire ce que je ressens régulièrement pour ne pas fuir mes sentiments, ni laisser s’entasser de mauvaises pensées. Parfois ça va, parfois même je me sens revivre et parfois je ressens un grand vide en moi. Ce sont un peu les montagnes russes en ce moment.

J’ai énormément avancé depuis quelques mois. Seulement ce n’est pas en quelques semaines que je vais pouvoir réparer les traces du passé et les circonstances dans lesquelles je vis mon sport depuis des années.

Je t’écris Isa, pour te dire à quel point cette vie extraordinaire pour le commun des mortels m’a épuisée, détruite. À quel point je me sens perdue.

Je pose un bilan de cette expérience formidable, incroyable comme ils disent tous : « le sport c’est l’école de la vie ; vous avez de la chance vous les sportifs ». De la chance ? Mais de quelle chance parle-t-on ? La chance de me remettre en question tous les jours ? La chance d’être constamment usée, fatiguée physiquement, mentalement, moralement ? La chance de suivre une diète stricte, de me coucher tôt ? De me réveiller chaque matin en essayant d’être une meilleure version de moi-même, de me donner, corps et âme littéralement, pour performer ? Et chaque soir, faire le point et avoir l’impression de ne pas avoir été assez ? De douter, de me tourmenter et que ces pensées me suivent jusqu’ à la maison, dans la douche, lors de la sieste, la nuit ? D’en faire des cauchemars ? De me sentir vide à force de tout donner ? Est-ce cette chance-là qui fait rêver tant de monde ?

Et puis il y a aussi les jours où tout simplement je ne sais plus. Où je ne sais même plus qui je suis, qui je suis devenue, qui je veux devenir, ce que j’aime et ce que j’aimerais. Ça a toujours été ça, ma vie d’athlète : serrer les dents, attendre que la tempête passe. Me dire qu’après tout cela, je récolterai enfin les fruits de mes efforts et sacrifices et que je retrouverai le plaisir, ce plaisir qui m’a quittée.

Je m’entraîne tous les jours. Et pourtant mon sport ne m’a jamais autant manqué.

Je me réveille tous les matins et je me demande si je suis vraiment faite pour ça, si je ne suis pas trop sensible ou pas “assez forte” pour tout ce qu’exige le haut niveau. J’ai toujours rêvé d’être une sportive professionnelle et ce, depuis mon plus jeune âge. Depuis mes premiers pas sur un terrain, j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour être la meilleure possible, attirer l’attention des sélectionneurs et des coachs. Mais, à l’âge où l’on entre à l’école primaire, savais-je seulement ce que signifiait être « professionnelle” ? Imaginer que je pourrais pratiquer mon sport jusqu’à mes 30 / 35 ans était une idée magique qui m’animait. Est-ce qu’au fond je ne voulais pas tout simplement rester une grande enfant qui s’amuse ? À vrai dire, je voulais juste pratiquer mon sport le plus longtemps possible parce que c’était grâce à lui que je me sentais moi-même. Est-ce qu’au fond ce que je cherchais à tout prix, c’était cette professionnalisation de ma passion ? J’en doute. Parce que si l’on m’avait dit dans ma jeunesse : « En choisissant cette voie, voici ce qui t’attend : la fatigue, l’épuisement mental, les remises en question à ne plus savoir qui tu es, la pression de l’obligation de performance, gérer les avis et conseils de tous et toutes te disant tu dois être, jouer, progresser, parler.

La solitude, les dépressions, les hauts et les bas, cette solitude, malgré le fait d’être entourée et enfin que tes performances affecteront ton état global. Alors, la petite fille que j’étais n’aurait peut-être pas pris cette voie.

Ça me rend triste de me rendre compte au fur et à mesure que tout ce que je fais, je ne le fais plus pour moi et je ne le fais plus non plus pour cette petite fille motivée par ses rêves. Parfois, je me rends bien compte que je ne pratique plus mon sport pour moi, que je ne prends plus autant de plaisir qu’avant. Si j’obtiens de bonnes statistiques, je suis contente parce que cela prouve que les gens qui m’ont contrée, qui m’ont fait du mal, avaient tort. Je ressens un soulagement mais plus la fierté que je pouvais ressentir auparavant. Mes bonnes performances ne me rendent plus heureuse, à peine servent-elles à me rassurer un peu. Je ne suis plus animée par tout ça. Le rêve et la spontanéité ont laissé toute la place à la discipline et la rigueur dans le but de performer et faire ce que l’on attend de moi. Un matin j’ai pleuré dans la voiture et mon amie m’a demandé : « Dis-moi, pour qui tu fais tout ça ?». J’ai répondu « pour moi » mais la vérité, c’est que cela fait longtemps que je ne le fais plus que pour les autres et leurs regards. Cela me permet d’exister d’une certaine manière dans la société, d’être reconnue, d’avoir un statut, une place.

Mon cerveau et mes sentiments sont en ébullition et je ne sais plus ce que je veux ni même qui je suis. Lorsque je me demande ce que je veux devenir, je vois tout sauf une grande sportive reconnue. Ce n’est plus ce que je veux. La petite fille de 6 ans pensait peut-être que le sport de haut niveau la comblerait, mais la jeune femme que je suis devenue, elle, se rend bien compte que ce n’est pas ça la vie, sa vie.

Je me sens piégée dans ma propre existence et ce, à cause de mes propres choix. Je me sens coincée car j’ai peur : peur de tout recommencer, peur de l’inconnu, peur de décevoir, peur de regretter, peur de sauter le pas car je sais bien qu’aucun retour en arrière ne sera possible. Comment puis-je souhaiter laisser tomber ce “Graal” pour lequel je me suis tant battue ? Je l’ai si durement obtenu à force de dette de sommeil, de sueur, de tristesse, de douleurs, de solitude, de dépressions, d’efforts de concessions.

Ce sport, c’est 19 ans de ma vie. Je me suis construite avec lui, grâce à toutes ces expériences. Pour autant, aujourd’hui, je sais que continuer serait me mentir à moi-même et bafouer ma santé mentale et physique. Cependant, l’idée d’arrêter me terrifie davantage. Si demain j’arrête alors je dois tout reconstruire et plus effrayant encore je ne saurai plus qui je suis… »

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Crédit Photo : Kevin Clément

 

Isaline Sager-Weider
15.12.2023

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