À la rencontre des sportives

Laura Glauser : « J’ai voulu garder la tête haute, me dire que je suis une femme forte »

Claire Smagghe
20.11.2023

Laura Glauser sort la tête de l’eau. L’hiver dernier, son corps lui a dit stop. Fracture de fatigue d’une vertèbre du dos, opération du coude, autant de signaux qui lui ont permis de prendre conscience de son état psychologique et des maux qu’elle avait enfouis depuis son départ de Metz. De retour en pleine forme, suivie par un coach, la gardienne de l’équipe de France veut parler à cœur ouvert pour que d’autres, comme elle, acceptent plus facilement leur détresse et cessent de se cacher.

Les Sportives : Vous n’avez pas forcément l’habitude de vous exprimer dans les médias, mais aujourd’hui vous avez envie de prendre la parole sur un sujet qui vous a beaucoup touché ces derniers temps… Pouvez-vous nous en parler ?

Laura Glauser : Pendant longtemps j’ai été mal dans ma peau, dans mes émotions et mon quotidien. Et c’est vrai que c’est quelque chose dont j’ai envie de parler aujourd’hui. Je me rends compte que je n’étais pas seule. Quand je discute avec les gens qui sont autour de moi, je me dis que c’est quelque chose qui est assez tabou. Peut-être qu’en prenant la parole, d’autres oseront en parler. On a le droit d’être mal, d’avoir des phases de « down ». Cela pourrait nous aider à guérir plus vite.

Comment qualifierez-vous cette période sombre que vous évoquez ?

Je me suis fait les croisés en 2019. Déjà là, c’était un gros coup dur. L’été 2020, je suis partie à Györ, l’un des plus grands clubs européens. J’ai récupéré de mes croisés mais je n’ai pas eu le temps de rejouer au handball et je suis partie directement là-bas avec ma fille, le papa de ma fille et mon chien. Très peu de temps après, nous nous sommes séparés. Donc je me suis retrouvée, dans cette nouvelle vie, sans avoir joué au handball depuis longtemps, seule avec ma fille. J’ai voulu garder la tête haute, me dire que je suis une femme forte. Au handball et dans ma vie privée, ça ne se passait pas bien. Et ce mal-être je l’ai trainé jusqu’à l’hiver dernier. Mon corps a dit stop. J’ai eu une fracture au dos, j’ai dû me faire opérer du coude. Je me suis dit qu’il fallait que j’ouvre les yeux. Je n’ai pas été qualifiée, médicalement parlant, de dépressive. Mais tous les tests que j’ai fait, c’était limite mais on n’a pas voulu aller plus loin. Cette phase a duré assez longtemps.

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Cette fracture de fatigue, vous l’avez sentie arriver ?

C’est une douleur que j’avais depuis un an, un an et demi. Je me disais que ça allait passer. Sauf que ce n’est pas passé. Un jour j’ai parlé avec la docteur de l’équipe de France de cette douleur, pour lui dire que j’arrivais à un stade où je ne pouvais plus jouer avec. Il s’est révélé qu’il était temps de faire quelque chose.

Jusqu’à ce que votre corps vous dise stop, vous n’avez donc entrepris aucune démarche…

Non, car je n’acceptais pas que j’étais mal et que j’avais besoin d’aide. C’était impossible pour moi d’entreprendre un rendez-vous avec un psychologue. C’est seulement l’hiver dernier que j’ai commencé à reconnaitre que je n’allais pas bien, que je traversais une période difficile de ma vie. Et qu’il était temps de me faire aider…

Vous prenez conscience que vous avez besoin de vous faire accompagner… Que mettez-vous en place ?

Déjà, j’ai accepté d’aller mal. À partir de ce moment-là, je suis descendue plus bas que terre alors que je l’étais déjà pas mal. Le fait de l’accepter, ça m’a permis d’ouvrir les yeux sur ma situation. J’ai essayé d’avoir de la bienveillance envers moi-même. J’ai commencé à me faire accompagner, pas par un ou une psychologue mais un monsieur qui pouvait m’apporter plusieurs choses à la fin, un genre de coach de vie. Il m’a aidé à me recentrer sur moi-même et sur le handball. À ce moment-là, j’étais en colère et triste, je ne ressentais plus de bonnes émotions.

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Cela a aussi eu des conséquences sur votre rôle de maman ? 

Inconsciemment, oui. Quand je suis à l’étranger, j’ai envie que ma fille soit bien, qu’elle soit autant épanouie que moi. Je n’ai pas envie qu’elle subisse ma vie. C’est une pression en plus. Mais ce n’est pas une mauvaise pression. Ma fille est vraiment très facile et la façon dont elle gère ses émotions, c’est un exemple pour moi. Parfois elle me dit « maman, là je suis triste » ou « maman, là je suis en colère ». Elle m’explique ses émotions et moi j’essaye de reproduire la même chose. Elle m’a beaucoup aidée dans mon processus de guérison. C’est un amour. 

Qu’est-ce qui vous a conduit aujourd’hui à vouloir en parler dans la presse ? 

J’ai échangé il y a quelques temps avec une fille, performante sur le terrain mais qui ne va vraiment pas bien. Je lui ai dit qu’on a droit de dire quand ça va pas même si c’est un sujet sensible. On ne connait pas les conséquences derrière cela. Mais en tout cas, le fait d’avoir discuter avec elle, j’ai eu l’impression d’avancer un peu dans plus dans mon processus à moi. Aujourd’hui, en parler avec vous, c’est un autre stade dans mon cheminement.

Le statut de sportive de haut niveau incite-t-il à se créer une carapace pour toujours essayer d’être performante, de garder sa place dans le groupe ?

Bien sûr. Je pense que cela joue beaucoup. Sur un entrainement, si on a mal quelque part, on s’entraine quand même malgré la douleur. Pareil pour un match, si c’est un match important on y va quand même. Et on voit après le match ce qui l’en est de cette blessure. C’est une des qualités dont on a besoin dans le sport de haut niveau, toujours aller au-delà de ses limites, mais je pense que parfois on va trop loin dans tout ce qui est de l’ordre de l’émotionnel.

Pour pas mal d’entre nous, le sport nous permet d’évacuer. Quand quelqu’un fait une dépression, la première chose qu’on conseille c’est souvent de prendre l’air ou de pratiquer un sport. Mais pour moi, quand ça ne va pas dans le sport, à aucun moment j’ai une bulle d’air. Les équipes, ce sont des usines. Si tu n’es pas bonne, on te met de côté.

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Crédit photo : ©FFHandball__Icon_Sport

Claire Smagghe
20.11.2023

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