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Tribunes

Violences, maltraitances, gouvernance : les faillites d’une fédération

Aurélie Bresson
11.08.2020

par Philippe Liotard, sociologue et anthropologue de l’université C.Bernard Lyon, est membre du Laboratoire sur les vulnérabilités et l’innovation dans le sport et chargé de mission égalité-diversité au sein de cet établissement.

Tribune. Le 4 août 2020, par communiqué de presse, le Ministère de l’Éducation Nationale, de la Jeunesse et des Sports a rendu publiques les conclusions du rapport de l’Inspection Générale du Sport et de la Recherche, remis une semaine plus tôt aux ministres Jean-Michel Blanquer (Éducation Nationale) et Roxana Maracineanu (Sports) à propos de faits de violences au sein de la Fédération Française des Sports de Glace (FFSG).

Les données exposées confirment ce que l’on sait si l’on suit les questions de violences sexuelles, sexistes et homophobes ou les questions de maltraitances dans le sport.
Le rapport rassemble ce qui était disponible de manière éparse dans des enquêtes médiatiques (France Télévisions, Disclose, L’Obs, L’Équipe…) et des livres-témoignages d’anciennes sportives de haut niveau (Catherine Moyon de Baecque; Isabelle Demongeot; Sarah Abitbol). Par ailleurs, il mentionne l’importance du nombre d’entraîneurs impliqués, plus de vingt, sans que l’on sache précisément quels types de faits leur sont reprochés.

Une culture de la maltraitance

Malgré le flou qui pèse sur les faits, le rapport rend compte de deux choses: d’une part, il existait une culture de la maltraitance au sein de la FFSG et par ailleurs, la gouvernance de la fédération a failli dans la protection de ses membres.

Les entraîneurs incriminés, le sont ou bien pour des faits d’agression ou de harcèlement sexuels, ou bien pour des faits de violences physiques ou verbales. Le fait que certains d’entre eux risquent d’être frappés de prescription indique que ces pratiques se sont inscrites dans la durée. Le rapport le souligne d’ailleurs quand il mentionne qu’il s’agit de « pratiques et de comportements reproduits, qui ont traversé des générations d‘entraineurs ». En croisant ces données avec ce qui est paru dans les médias depuis décembre 2019, on peut affirmer que la FFSG a rendu vulnérables de nombreuses et de nombreux patineurs, notamment mineurs, en les exposant à des violences de différents types, y compris sexuelles, sans possibilité de les faire cesser ou d’échapper aux agresseurs, compte tenu de leur jeune âge et des « liens de subordination forts entre patineurs et entraineurs ».

Et c’est là que la FFSG a failli. Sa gouvernance n’a pas été en mesure de protéger celles et ceux qui lui ont été confiés sur de nombreuses années, privilégiant les résultats sur la protection des sportives et des sportifs. Elle est aujourd’hui devant un chantier important qui suppose d’abord une sensibilisation systématique aux violences sexuelles et sexistes et aux maltraitantes, une formation généralisée de ses cadres mais aussi de ses bénévoles, dirigeantes et dirigeants, réalisée par des professionnels de la prévention des violences, et une écoute et un accompagnement inconditionnels des victimes, indépendamment des procédures pénales.

Protéger ses licencié.e.s à tout prix 

Ce qui est clair avec ce rapport, c’est que la FFSG a manqué à ses responsabilités en matière de protection des personnes, notamment en ne se portant pas systématiquement partie civile auprès de ses licencié.e.s victimes de violences. Elle doit aujourd’hui s’atteler à un plan d’action ambitieux qui irait bien au-delà des recommandations de l’Inspection générale visant à « élaborer sa propre charte éthique et de déontologie ». Un tel plan d’action ne peut se satisfaire de généralités mais doit s’ancrer dans les spécificités des pratiques (disciplines à maturité précoce, forts liens de subordination aux entraîneurs, hébergement des mineurs hors du domicile parental, forte concurrence et rivalité entre entraîneurs de haut niveau…), en collaboration avec les actrices et les acteurs de terrain.

Enfin, le fait de se centrer sur une fédération spécifique qui a occupé les feux de l’actualité – principalement en raison des révélations d’une ancienne championne de haut niveau et de l’entêtement de son ancien président –, ne doit pas occulter le fait que bien d’autres fédérations sont touchées si l’on en croit la multiplicité des enquêtes produites. Aujourd’hui, on sait que tous les sports ou presque sont concernés. Ils ont besoin d’une mobilisation collective durable pour faire cesser la culture de la maltraitance justifiée par la recherche de performance, et s’interroger sur les normes, les valeurs et les idéaux qu’ils véhiculent.

 

Tribune réalisée par Philippe Liotard, sociologue et anthropologue de l’université C.Bernard Lyon, est membre du Laboratoire sur les vulnérabilités et l’innovation dans le sport et chargé de mission égalité-diversité au sein de cet établissement.

Aurélie Bresson
11.08.2020

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