Assia Hamdi sort
À la rencontre des sportives

Le livre « Joue-la comme Megan » invite les femmes à vivre leur passion

Julien Legalle
30.09.2021

Depuis douze ans, Assia Hamdi, journaliste bien connue des lecteurs et lectrices de notre magazine, s’intéresse à la place des sportives. Avec Joue-la comme Megan (Ed. Marabout), elle fait un état des lieux des différentes problématiques propres au sport au féminin : le corps et sa sexualisation, les menstruations, la maternité, l’égalité salariale, l’absence de femmes à la direction des clubs et fédérations. Un tour d’horizon qui montre les avancées mais également le chemin quil reste à parcourir.

Vous travaillez sur la place des femmes dans le sport depuis douze ans. Pourquoi avoir écrit ce livre maintenant ?

Cette idée trotte dans mon esprit depuis longtemps. J’avais déjà de la matière, mais j’ai eu un déclic au moment de la prise de parole de Sarah Abitbol. Nous savions qu’il y avait des violences sexuelles dans le sport, mais tous ces témoignages forts de sportives, ça a été le chaînon manquant dans mon esprit. C’est de là que j’ai écrit le pitch du livre, puis je l’ai proposé à des éditeurs.

Peut-on parler d’un état des lieux des problématiques liées aux conditions des sportives ?

C’était mon objectif donc je suis très contente si les lecteurs et les lectrices le reçoivent de cette manière. Je voulais faire un ouvrage grand public et accessible. J’ai traité les principaux sujets en me replongeant dans mes travaux, en m’appuyant sur l’expertise d’universitaires, et j’ai aussi aussi voulu interviewer des sportives car leur parcours et leur quotidien révèlent des choses pertinentes. 

Le titre fait référence au film « Joue-la comme Beckham ». Pourquoi avez-vous choisi ce titre et que signifie-t-il pour vous ?

Le film parle d’une jeune fille passionnée de foot qui veut devenir professionnelle. Il fait partie de la culture populaire et a marqué les amateur·trice·s de sport au féminin. Un peu comme « Million dollar baby », qui a aussi eu une grande influence pour la pratique de la boxe, la culture a un réel impact sur la pratique sportive. Elle peut accélérer une passion, nous l’avons vu dernièrement avec la série « Le jeu de la dame » sur Netflix. Quand j’ai réfléchi aux thématiques et au contenu du livre, l’exemple de Megan revenait, car elle a lutté sur plusieurs sujets. J’ai trouvé cohérent de la lier au titre. Elle a aussi une audace. Et puis l’expression « Joue-la » est une invitation à se lancer, à défendre une idée, à prendre la parole, à vivre une passion, cela correspondait parfaitement au sujet du livre.

Alice Milliat, Megan Rapinoe et Serena Williams. Que représentent ces femmes pour vous ?

Je voulais explorer l’aspect historique, et ces trois femmes ont eu un impact fort sur la féminisation du sport et sur la perception des sportives. J’ajouterais aussi Billie Jean King et Kathrine Switzer. Je suis contente de voir qu’Alice Milliat a enfin eu l’hommage et la médiatisation qu’elle méritait. Pendant longtemps, elle n’était pas connue du grand public. Pourtant, elle a eu un impact considérable sur la pratique féminine, en organisant des compétitions au nez et à la barbe de Pierre de Coubertin. Megan Rapinoe est un symbole de lutte. Elle a largement dépassé le cadre sportif. Elle est plus connue pour ses combats pour l’égalité salariale, contre l’ex-président Donald Trump, la défense des minorités sexuelles et ethniques, que ses performances de footballeuse. Elle incarne toute la libération de la parole que je souhaitais mettre en avant dans ce livre. D’ailleurs elle prend la parole, elle n’attend pas que l’on lui donne ! Serena Williams s’inscrit elle aussi dans ce mouvement sur la question de la maternité, d’un corps différent. Mon constat est qu’actuellement, pour exister, les sportives doivent se mettre en avant, montrer leur personnalité, sortir du lot, se rendre visibles aussi sur des combats de la société, être au-dessus de la mêlée. Qu’elles soient célèbres ou inconnues, elles doivent toujours faire plus pour exister, car il y a toujours un énorme déficit sur la mise en valeur de leurs compétences sportives.

Vous consacrez un chapitre sur le peu de femmes aux postes d’encadrement sportif…

Actuellement, il n’y a que 10 % d’entraineuses dans le sport de haut niveau. Ce qui ressort de mes entretiens, c’est que certains présidents de clubs ne pensent pas encore à proposer le poste d’entraineur à une femme. Certains avancent le manque de postulantes, mais n’est-ce pas une excuse pour ne pas franchir le cap ? Il existe des formations, comme le programme « Dirigeantes » du CNOSF (Comité national olympique et sportif français, NDLR), ou au sein de l’association Femix, pour inciter les femmes à prendre des postes de direction. Après, si les femmes restent minoritaires dans ces formations, c’est qu’il persiste aussi des freins socioculturels. Les femmes n’osent pas postuler, elles s’autocensurent.  Toutes ne se sentent pas légitimes à accéder à ces responsabilités et c’est pour ça qu’il faut les encourager, si elles ont les compétences. On retrouve aussi la même problématique chez les arbitres. La représentativité, au plus haut niveau comme au plus bas, est très importante. Le parcours de Stéphanie Frappart, comme celui d’une arbitre au niveau amateur, va donner envie aux petites filles d’arbitrer. Dans le livre, plusieurs témoignages abordent le problème de l’éducation d’un enfant ou du non partage des tâches au sein d’une famille, qui contraignent souvent une femme à renoncer à entrainer ou à arbitrer, principalement à cause des déplacements réguliers, de réunions tardives. Cette question du non partage des tâches dépasse le cadre du sport, puisqu’on la retrouve aussi dans de nombreuses professions.

Dans le numéro précédent, nous avons abordé la question de l’économie du football avec Luc Arrondel. Quelle est la situation dans le sport en général ?

Il y a une prise de conscience sur la légitimité des sportives car des équipes et des sportives ont, par leurs performances, accru la visibilité et la médiatisation, notamment dans le foot. Mais il reste de gros déséquilibres entre disciplines, en termes de conditions de la pratique et de rémunération. Les statuts varient en fonction des pays car l’histoire est différente. Pendant des décennies, la pratique des femmes a été interdite ou fortement déconseillée, le sport au féminin a pris un retard considérable au niveau économique. Pour le foot, j’ai voulu interroger les deux visions, celle qui défend l’idée d’un gâteau à se partager qui est plus ou moins gros en fonction des équipes masculines et féminines, et une autre qui avance qu’il faut compenser cet écart abyssal par plus d’égalité. Il y a probablement d’autres options économiques à explorer aussi, car actuellement certains clubs disent ne pas avoir les moyens de donner une rémunération à la hauteur des équipes masculines. Dans les dernières années, on observe des revendications communes dans différentes équipes nationales, les internationales étasuniennes, norvégiennes, sur les primes et les conditions d’accueil, et ce sont les sportives, par des discours, qui se rendent visibles aux yeux des médias et des sponsors. Or, le Covid-19 a montré la fragilité du sport au féminin, qui reste sacrifié en cas de crise. Et on accueille dans trois ans des Jeux qui se veulent paritaires, donc j’espère que le sport au féminin ne va pas être abandonné.

Il y a plusieurs chapitres qui abordent la question du corps. Jai l’impression que jusqu’à présent, les instances ont très peu pris en compte les spécificités du corps des sportives dans et pour la performance.

Le corps des femmes et ici des sportives est toujours un problème. D’un côté, la structure sportive n’a pas vraiment pris en compte les spécificités du corps féminin. Par exemple, l’entrainement n’est pas adapté à la période des menstruations, comme me l’ont expliqué certaines sportives, et les rares gynécologues du sport tentent de leur côté de rattraper le retard en épaulant les encadrant·e·s, mais c’est long. De l’autre côté, on valorise un corps esthétique, comme avec Anna Kournikova, au détriment d’un corps performant comme ceux de Serena Williams et Megan Rapinoe, mais qui n’entrent pas dans les canons de beauté. Il y a un idéal du corps sportif et il faut coller le plus possible à cet idéal. C’est très flagrant dans le surf, où les sponsors veulent l’image de la blonde californienne, bronzée et sculptée. La surfeuse Silvana Lima, que je cite dans le livre, doit trouver d’autres moyens de gagner sa vie. Le sport a longtemps été pensé par et pour les hommes. Pour que cela change, les sportives vont s’exposer en alertant les médias, prendre le risque de parler à leurs entraîneurs de ces questions intimes, et il est nécessaire qu’elles se sentent épaulées. Le témoignage de la basketteuse Sandrine Gruda sur l’endométriose est très fort. Elle a beaucoup de courage.

De plus en plus de sportives deviennent maman pendant leur carrière. Les sponsors et fédérations ont-ils avancé sur le sujet ?

Oui et non. À nouveau, les sportives ont fait avancer le débat en prenant la parole, car on leur refusait de concilier maternité et carrière. La parole fait clairement avancer tous les sujets. Je cite Allyson Felix, qui s’est battue contre Nike pour que le sponsor maintienne son aide financière pendant la période de grossesse. Elle a fini par avoir gain de cause et on a peut-être là un tournant. Que ce soit elle, Mélina Robert-Michon ou Serena Williams, c’est aussi leur spécificité d’être à la fois athlète et mère qui attire aujourd’hui les sponsors et les médias, en dehors même du sport. Elles ont cassé les codes. Maintenant, les fédérations et clubs doivent mettre en place des dispositifs, pour la période post-natale, pour que les sportives puissent être accompagnées pour retrouver leur niveau. Certains encadrements dialoguent et agissent déjà, comme le handball, qui a instauré un congé maternité. Le sélectionneur Olivier Krumbholz explique dans le livre pourquoi il est primordial pour lui que les sportives de retour de grossesse se sentent soutenues.

Sur l’ensemble des sujets que vous abordez, quel sport vous semble le plus avancé et pourquoi ? 

Je dirais le tennis, que je cite beaucoup dans le livre car il y a eu l’égalité des primes en Grand Chelem, des rôles modèles sur la maternité, sur l’homophobie… D’ailleurs, les deux seules sportives dans le classement Forbes sont deux joueuses de tennis. Ces dernières années, le handball a été en première ligne sur la question de la maternité, des menstruations, de l’égalité salariale en équipe de France, même si ce sont les handballeuses tricolores qui ont demandé l’égalité de primes en 2003 après leur titre mondial. Je suis plus inquiète pour les sports où les femmes sont moins présentes, comme la voile et à la formule 1, où la question de la faiblesse physique est toujours présente dans les esprits : une femme est-elle capable de manœuvrer une machine, que ce soit une voiture ou un bateau ? Après, on a eu un nombre record de navigatrices engagées sur le Vendée Globe cette année, donc gardons espoir.

Pour conclure, quel message souhaitez-vous faire passer avec ce livre Joue-la comme Megan ?

Que derrière leur quotidien particulier, les sportives sont d’abord des femmes et qu’elles ont dû se battre pour obtenir des droits. J’espère que ce livre donnera une perception plus claire des enjeux de la place des femmes dans le sport et que les lecteur·trice·s s’identifieront à la parole des sportives, à leur vécu. Que cela donnera envie de s’intéresser ou d’approfondir ces sujets.

Propos recueillis par Julien Legalle

Crédit photo : © Élodie Daguin

Interview à retrouver dans le magazine numéro 19

Julien Legalle
30.09.2021

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