À la rencontre des sportives

Gymnastique : un dernier saut pour Oksana Chusovitina

Mia Zanchetta
28.06.2021

C’est l’histoire d’une OVNI dans le petit monde de la gymnastique. À 46 ans, Oksana Chusovitina disputera cet été ses huitièmes Jeux olympiques. De Barcelone à Tokyo, en passant par l’URSS, l’Ouzbékistan, ou encore l’Allemagne, retour sur le parcours de la « Jeannie Longo » de la gymnastique.

Les images sont un peu passées. Elles ont un charme désuet. Sur YouTube, on retrouve les vidéos de la première participation d’Oksana Chusovitina aux Jeux olympiques. C’était à Barcelone, en 1992. À 17 ans, elle remportait l’or par équipe avec la Communauté des États indépendants (CEI, entité regroupant d’anciennes Républiques soviétiques, après la disparition de l’URSS en 1991).

En 30 ans, la silhouette a peu changé. 1 mètre 53 pour 45 kilos. Un corps taillé pour la gymnastique. Et une longévité unique dans un sport où l’on commence souvent très jeune, où le corps est mis à rude épreuve. Simone Biles, 24 ans, quatre fois championne olympique, 19 fois championne du monde, fait presque figure d’ancienne. Elle n’était pas née quand la gymnaste Ouzbèke a obtenu son premier titre olympique.

« C’est sans doute une des personnes les plus respectées dans le monde de la gymnastique, affirme Céline Nony, journaliste à L’Équipe. On parle de quelqu’un qui a été championne d’URSS junior en 1988, championne du monde au sol en 1989, championne olympique en 1992. Elle est encore médaillée à Pékin en 2008. C’est aussi un exemple par son professionnalisme assez incroyable. » Michel Boutard, plusieurs fois champion de France dans les années 70 et 80, aujourd’hui vice-président de l’Union européenne de gymnastique (UEG), tempère : « Oksana n’est pas forcément un modèle pour la génération actuelle. Elles ne se voient pas faire de la gym à 45 ans. Elle a commencé avant les téléphones portables, avant les réseaux sociaux. Aujourd’hui, elles sont sur une autre planète. »

Le « saut de la mort » 

En trente ans, le matériel a changé, les mouvements se sont incroyablement complexifiés. Oksana, elle, est toujours au plus haut niveau. Pour Céline Nony : « ce qui peut expliquer sa longévité, c’est sa formation de base. En URSS, c’était tellement large, riche, pointu, qu’elle est encore capable de s’adapter à tous les codes de pointage. » Le code de pointage, la « bible » de la gymnastique. Réactualisé tous les quatre ans après les Jeux olympiques, il fixe les grandes orientations pour l’Olympiade à venir. Oksana Chusovitina est spécialiste du saut. Vice championne olympique en 2008, championne du monde en 2003, son CV relève de l’inventaire à la Prévert. « C’est au saut que le code de pointage évolue le moins, explique Céline Nony. On est dans l’acrobatie pure. Elle peut innover, progresser encore, essayer de nouveaux éléments. »

Aux Jeux olympiques de Rio, en 2016, elle a tenté le « Produnova », du nom de l’ancienne gymnaste russe Elena Produnova, qui l’avait réussi la première, en 1999. Un saut en double salto avant et demi. Même Simone Biles, championne olympique en titre, n’a jamais voulu l’essayer : « Je n’ai pas envie de mourir. » « Oksana, elle, ça l’amuse ! », sourit Céline Nony. Avec l’âge, Oksana Chusovitina a su adapter son entraînement. « C’est ça qui est fou, raconte Céline Nony. Ce n’est plus une acharnée du travail. Je ne crois même pas qu’elle s’entraîne réellement tous les jours. Elle bouge tous les jours, mais elle ne fait pas forcément deux ou trois séances comme les autres gymnastes. »

Gymnaste et maman

La gymnaste, à la barre, avec son fils Alisher.

En 2000, Oksana Chusovitina est devenue maman d’un petit Alisher. Deux ans plus tard, on diagnostique à son fils une leucémie. Mobilisation immédiate de la communauté gymnique. Une cagnotte est mise en place pour aider la maman à payer les traitements. Le président de la Fédération allemande de gymnastique, cancérologue, et directeur d’une clinique, les fait venir en Allemagne. En remerciement, l’Ouzbèke prend la nationalité allemande, qu’elle gardera jusqu’en 2013. « Si Oksana a continué sa carrière à ce moment-là, si elle a écumé toutes les étapes de coupe du monde, c’était pour payer les soins de son fils », poursuit Céline Nony. Alisher est guéri, mais sa maman continue la gymnastique. Par amour de son sport. 

À Tokyo, cet été, la « Jeannie Longo de la gymnastique » raccrochera définitivement ses justaucorps. Peut-elle encore entrer en finale au saut ? « Au saut de cheval, ça se joue sur la stabilité, la chute est vite arrivée, explique Michel Boutard. On a souvent des surprises à cet agrès, donc tout est possible, même si les Américaines, Simone Biles et Jade Carey, semblent intouchables. » On voit mal son avenir loin de la gymnastique. La jeune femme est élue à la commission des athlètes de la Fédération internationale de gymnastique. « C’est une représentante importante, note Michel Boutard, sa voix est très écoutée. » Céline Nony la voit aussi entraîner : « Elle anime déjà pas mal de stages aux États-Unis avec son ex coéquipière de la CEI, Svetlana Boginskaia. » Oksana Chusovitina a entamé sa saison olympique par une médaille de bronze en coupe du monde, à Varna, fin mai. La retraite attendra bien encore quelques semaines.

Propos recueillis par Mia Zanchetta 

Mia Zanchetta
28.06.2021

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