Eugénie Le Sommer est de retour en France après 6 mois à l'OL Reign aux Etats-Unis
À la rencontre des sportives

Eugénie Le Sommer : « Aux États-Unis, j’ai vécu cinq ans d’expérience de football en six mois »

Claire Smagghe
14.12.2021

De retour des États-Unis après six mois passés à l’OL Reign, franchise de l’Olympique lyonnais, Eugénie Le Sommer revient sur son expérience à Seattle et analyse le football à l’américaine. Entretien. 

Les Sportives : Vous êtes revenue des États-Unis il y a quelques jours. Quel bilan faites-vous de cette expérience de six mois à l’étranger ?

Eugénie Le Sommer : Cela m’a apporté tellement de choses que j’ai du mal à les énumérer. L’expérience était enrichissante sportivement. Sur le terrain, j’ai appris plein de choses. Mais aussi dans le vestiaire et même la vie et la culture étasuniennes. J’avais l’impression d’être dans un environnement où tu apprends tous les jours de nouvelles choses. Le mot d’ordre c’est vraiment l’enrichissement.

 

Aviez-vous cette ambition dans le viseur depuis longtemps ?

Depuis que je suis arrivée à Lyon, j’y pensais. C’était dans un coin de ma tête, même si je ne savais ni comment, ni quand, ni où. En côtoyant des étrangères à Lyon ou ailleurs, je voyais bien que ça leur apportait beaucoup de vivre une expérience à l’étranger. Je n’avais jamais trouvé le bon moment. Il faut dire qu’à Lyon, je suis dans le meilleur club d’Europe. Je gagne des titres et je joue beaucoup. Je n’avais pas de raison de partir.

Mais là, j’ai eu le sentiment que j’étais arrivée à un tournant de ma carrière. Je me suis dit que c’était le moment ou jamais.

L’OL Reign c’était une passerelle plus facile et, en même temps, cela me permettait de rester dans la maison lyonnaise. Parce que, bien sûr, j’y suis attachée. Aux États-Unis, j’ai vécu cinq ans d’expérience de football en six mois. C’était un saut dans l’inconnu, un nouveau challenge.

On parle souvent des États-Unis comme étant l’eldorado des sportives et des sportifs. Portez-vous ce même regard ?

Pour moi le rêve ultime c’est de tout gagner : l’Euro et la Coupe du monde notamment. Les États-Unis, c’était plus une expérience de vie. Je n’en rêvais pas tous les jours. J’y étais déjà allée en vacances, mais y vivre pendant six mois, c’est autre chose. On parle souvent d’eldorado par rapport à la NBA. Mais au foot, quand tu gagnes la Ligue des champions, cela a autant de valeur que si tu gagnes le championnat américain, voire plus. Ce qui me plaisait c’est que le championnat est professionnel et que cela engendre beaucoup de choses en terme médiatique et d’infrastructures. L’eldorado pour moi, ce serait un mélange entre le top des États-Unis et le top européen.

À lire aussi (magazine numéro 20/21) : Les États-Unis, l’eldorado pour les sportives françaises ? 

L’aventure est désormais terminée. Qu’auriez-vous aimé emporter dans vos valises ?

Le championnat professionnel. Toutes les joueuses ont leur contrat. Aujourd’hui en France, ce n’est pas le cas. Beaucoup de filles travaillent encore à côté ou font des études. La professionnalisation permet d’élever le niveau. Quand tu travailles à côté, tu ne peux pas être dans la meilleure forme pour performer. Aux États-Unis, le niveau est plus homogène parce que le championnat est professionnel et que le système n’est pas du tout le même. C’est très équilibré. Les joueuses internationales sont réparties dans chaque club. J’ai aussi beaucoup aimé l’engouement des fans. L’affluence moyenne dans les stades est beaucoup plus élevée et l’ambiance est incroyable.

À l’inverse, qu’avez-vous eu l’impression de leur apporter ?

Mon accent français (rire). J’ai apporté mon jeu. Elles ont un jeu beaucoup plus athlétique. J’ai apporté ma touche technique. Sarah Bouhaddi était aussi présente dans mon équipe. On a réussi à intégrer notre petite touche européenne. Et puis je leur ai fait découvrir un peu de culture française.

Aux États-Unis, de nombreuses joueuses s’engagent, prennent des positions politiques, comme Megan Rapinoe qui jouait à vos côtés. Avez-vous pu percevoir ces engagements au quotidien ?

Elles sont beaucoup plus engagées que nous. Leur championnat est professionnel depuis 20 ans. Elles ne se battent plus pour ça et peuvent se battre pour d’autres causes. Nous, on est au début des contrats et de la professionnalisation en France.

C’est un peu compliqué de parler d’autres sujets quand on essaye déjà de se faire respecter dans sa propre pratique.

Je pense qu’elles sont aussi beaucoup plus médiatisées et elles se servent de ça pour faire changer les choses. J’ai aussi senti beaucoup de solidarité entre elles, notamment lors des histoires d’agression sexuelle récentes.

 

Quel combat menez-vous de votre côté ?

J’organise des stages pour les petites filles, deux fois par an. J’en suis à la neuvième édition. L’idée générale c’est de partager un bon moment avec les joueuses, sans condition de niveau. Au début, je me suis un peu lancée dans l’inconnu. Mais il y a une vraie demande. Les filles me demandent beaucoup de conseils par rapport aux problèmes qu’elles rencontrent, notamment vis-à-vis des garçons. Le plus important c’est d’éduquer les filles comme les garçons et que cela devienne normal de jouer au foot. Je sais qu’il y a plein de filles qui ont arrêté à cause de cela, et je trouve ça vraiment dommage de ne pas pouvoir faire ce que tu aimes dans la vie. C’est quelque chose que j’ai encore envie de faire, inspirer les nouvelles générations.

Vous êtes à Paris pour une tournée médiatique. L’engouement pour le football au féminin est de plus en plus grand. Quelle place accordez-vous aux journalistes dans votre carrière ?

J’ai toujours considéré que parler dans les médias, c’est faire avancer sa cause. Dès le début de ma carrière, je me suis dit qu’il fallait faire parler du football féminin. Je me suis battue toute ma jeune carrière pour me faire accepter comme joueuse de foot. Alors quand on me donnait la parole, c’était pour affirmer qu’il existe ! Il faut sensibiliser et éduquer. Ce n’est pas « une bonne cause », c’est juste accepter. On ne demande pas aux gens de nous regarder mais de ne pas nous détruire en disant que le foot ce n’est pas pour les filles.

Le modèle masculin, tel qu’on le connait aujourd’hui, vous inspire-t-il ? Souhaitez-vous le même développement pour les femmes ?

C’est difficile à dire. On ne peut pas dire qu’il faut moins d’argent. Mais aujourd’hui c’est très mal réparti. Il y a encore des clubs en difficulté. J’ai conscience d’être dans un club qui a beaucoup de moyens et qui a investi sur les féminines. Mais quelque part, on a récolté les retombées espérées avec tous ces titres. Je ne sais pas s’il peut y avoir un autre modèle. Je pense que c’est le système européen qui veut ça. Aux États-Unis, c’est très différent. Ce sont des franchises, il n’y a ni montées ni descentes, donc les enjeux ne sont pas les mêmes. Mais j’ai quand même l’impression que quand il y a trop d’argent, il y a forcement des mauvais cotés qui arrivent : c’est très médiatique et les bonnes personnes ne sont pas forcément mises en avant. Il faut aussi que les instances prennent les bonnes décisions et que ce ne soit pas seulement orienté par les intérêts de chacun. C’est peut-être un monde idéal… Mais il faut rêver.

Propos recueillis par Claire Smagghe

Crédit photo : Claire Smagghe

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Claire Smagghe
14.12.2021

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