La jeune Mirra Andreeva a fait tomber Diane Parry @Roland-Garros
Dossier

Roland-Garros : La jupe sous toutes les coûtumes

Marie Thimonnier
04.06.2023

À Roland-Garros, les jupes et les robes sont de mise sur les courts. Depuis plusieurs années, les Françaises Diane Parry et Fiona Ferro ont choisi de porter le short pour jouer au tennis, un pied de nez aux traditions. 


Sur le court Simonne-Mathieu, jeudi, Diane Parry, t-shirt blanc et short bleu aux liserés jaunes, s’inclinait sèchement (6-1, 6-2) face à la jeune prodige russe Mira Andreeva, 16 ans. Son premier tour a marqué les esprits, écartant la 25e joueuse mondiale, mais aussi sa tenue. À Roland-Garros, la Française faisait partie des rares joueuses à délaisser la jupe pour arborer un short. Une autre tricolore, Fiona Ferro, portait également un ensemble saumon, composé d’un t-shirt et d’un short, pour concourir avant son élimination précoce mardi au premier tour. 


La jupe ou le poids de la tradition

Une particularité française ? Non, pas vraiment. La numéro 2 mondiale Aryna Sabalenka revêtit aussi un combishort rose pour cette édition. Surtout un poids des traditions qui colle à la peau des tenniswomen depuis qu’elles ont commencé à taper dans la petite balle jaune à la fin du XIXe siècle. À cette époque, ce sont les aristocrates qui occupent les terrains, en costumes pour les hommes, robes, corsets et jupes longues pour les femmes. C’est une Française qui, à l’origine, fait bouger les lignes vestimentaires sur les courts : Suzanne Lenglen, première star internationale du tennis. En raccourcissant sa jupe et ses manches, et se délestant du corset pour libérer son jeu, elle s’éloigne des carcans de la société des années 20 qui pèsent sur les femmes et les joueuses.

Au fil des années, la mode a évolué laissant place au polo, au short, puis au t-shirt pour les hommes, tandis que les femmes, bien que les matières évoluent pour s’adapter à la performance, restent accoutumées aux robes et aux jupettes. Rose, bleue, jaune, blanche… Les couleurs varient mais la jupe, elle, a toujours la part belle.

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Une tenue « propre et appropriée » à Roland-Garros et ailleurs

Une question d’habitude d’abord, pour les joueuses qui n’ont souvent connu que cet habit pour jouer dans les tournois officiels depuis leurs débuts. Mais aussi le rôle des équipementiers, qui proposent, dans leur grande majorité, quasi-exclusivement ces ensembles, aux joueuses professionnelles comme amatrices. En 2021, lorsque Fiona Ferro, qui campait à la 43e place mondiale et était numéro 1 française, signait avec l’équipementier Lacoste, la collection proposée aux athlètes par le célèbre crocodile ne contenait aucune alternative aux traditionnelles jupes et robes. La Française fait fi de cette armoire et demande à la marque d’y ajouter un élément : le short. La requête est entendue. Depuis, la joueuse n’a pas quitté l’habit, mais elle reste l’une des rares à le choisir dans la gamme. 

Pour Diane Parry, le schéma semble le même à en croire la Fédération française de tennis, qui écrit sur son site que la joueuse « a obtenu de son équipementier le droit de jouer en shorts, dans lesquels elle se sent plus à l’aise ». Sous entendu, il faut demander la permission pour enfiler le vêtement. 

Pourtant, dans le règlement du tournoi ou de la WTA, aucun élément n’indique que la jupe est obligatoire, seulement que la tenue doit être « propre et appropriée ». Une mention sibylline, quand on dénombre le peu d’autres options aperçues sur les courts. Le tennis reste en effet un sport individuel particulièrement médiatique, où les moindres faits et gestes des joueuses sont scrutés et commentés dans les travées. Le moindre pas de côté ou la petite extravagance ne passent pas inaperçus. Les choix vestimentaires ont alors parfois été source de discorde.

La tenue polémique

L’Étasunienne Anne White avait défrayé la chronique en arborant un bodysuit intégral blanc pour fouler le gazon de Wimbledon en 1985. Mais c’est le catsuit de Serena Williams, une combinaison noire moulante de super-héroïne selon ses dires, portée sur l’ocre de Roland-Garros en 2018, qui a le plus marqué les esprits ces dernières années. Jusqu’à faire dire au président de la Fédération française de l’époque, Bernard Giudicelli, que « ça ne sera plus accepté, il faut respecter le jeu et l’endroit ». Une telle polémique pour une tenue a de quoi inciter les joueuses à rester dans le rang. 

Surtout, la championne aux 23 titres du grand chelem, qui revenait d’une maternité compliquée, expliquait avoir choisi cet ensemble pour permettre une meilleure circulation sanguine. La WTA avait finalement fait volte-face et décidé de modifier son règlement, jugeant que « les leggings et les shorts de compression peuvent être portés avec ou sans jupe, short ou robe ».  

« Des femmes comme Serena Williams ont permis de faire bouger les codes dans les esprits comme les règlements, commente Catherine Louveau, sociologue spécialiste du sport au féminin. Mais la sexualisation des sportives, par le biais des jupes courtes notamment dans le tennis, a toujours été une préoccupation et l’est toujours. Les injonctions de la société selon lesquelles, culturellement, le corps féminin ne doit ni être trop musclé, ni être trop performant, sont encore visibles. » L’image des tenues « élégantes » portées par les joueuses sur les grands tournois est aussi bien ancrée dans le sport amateur. 

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« Le short n’était pas une option »

« J’avais en tête les tenues élégantes de Maria Sharapova que je voyais à la télévision, je voulais lui ressembler sur le court. Je ne regardais pas les autres possibilités, confie Estelle, 25 ans, joueuse amatrice classée 5/6 à son meilleur niveau. Pour moi, le short n’était pas une option. J’avais très envie d’apparaître belle sur le court, en portant des tenues semblables aux siennes. » Les corps sont loin d’être libérés du poids des coutumes et des stéréotypes.

La dernière actualité en date vient du tournoi de Wimbledon, où la tenue immaculée, symbole de l’aristocratie britannique, est requise officiellement pour rentrer sur les courts depuis 1963. Le Grand Chelem londonien a récemment assoupli son règlement pour que les joueuses, gênées à l’idée de porter du blanc en période de règles, puisse mettre des sous-shorts de couleur sous leur tenue. Un (petit) pas de plus vers un assouplissement des codes vestimentaires et des mœurs, sur et en-dehors des courts.

Marie Thimonnier
04.06.2023

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