Isaline Sager-Weider : « Je m’autorise vingt-quatre heures de déception avant de repartir »
Voici la chronique d’Isaline Sager-Weider, joueuse professionnelle de volley-ball depuis 2007. Elle évolue au poste de contreuse centrale. Joueuse de l’équipe de France depuis 2012 et vainqueur de la Golden League en Juin 2022, elle a remporté la médaille de bronze au championnat du monde militaire en juin 2018. Elle est également vice-championne de France avec l’ASPTT Mulhouse volley de 2009 à 2012 et est trois fois championnes de France espoir de 2007 à 2009. Elle est engagée dans le syndicat des joueurs Prosmash et en faveur du volley santé.
Le 8 mars 2023, il est minuit et sept minutes et je suis en colère. Mes ressentis sont si puissants que je ne sais même pas par où commencer. Cela fait seize ans que je joue dans la ligue A féminine de volley-ball. Ma seizième saison en professionnel. J’ai 34 ans et je suis toujours à espérer un titre français. Gagner un championnat ou une coupe de France dans la ligue est le challenge derrière lequel je cours depuis si longtemps. Et ce soir, tout s’est encore effondré. La coupe de France a une règle simple : tu gagnes, tu continues, tu perds, l’histoire s’arrête. En quatre rencontres, tu peux décrocher un titre. C’est donc le chemin le plus rapide pour atteindre cet objectif et ce titre tant convoité. Le tirage au sort est complètement aléatoire ainsi que les lieux de rencontres. Ce soir, c’était au four au chaux de Béziers, le match ultime pour une place en finale à Paris. Tout avait portant bien démarré pour nous. Nous perdions largement le premier set, puis gagnions les deux suivants. Il y a donc deux sets gagnants pour nous. Le quatrième set, supposé être le dernier, nous sourit plutôt bien tout du long. Cependant, à partir de 22-19, quelques petites erreurs permettent à l’équipe adverse de faire une belle remontée et nous perdons le set. Dans une salle bondée avec un orchestre biterrois et des supporters plus que bruyants, nous nous éteignons peu à peu et perdons le tie-break.
Seule face à l’impuissance
Je me sens impuissante ; je ne suis rentrée que lors des deux derniers points du match et pourtant je porte la trace de cette défaite dans mon cœur comme un coup de poignard. Ce ne sera encore pas pour cette année. Je suis de nature plutôt positive et j’ai la force de rebondir, mais ce soir NON. Je suis triste, vide, énervée, j’en veux à la terre entière. À l’échelle du monde, il y a bien entendu des événements bien plus graves et cela parait même futile ! Ce n’est QUE du volley-ball…Certes, mais il est ma vie ! J’ai fait tout un tas de choix et de sacrifices pour en arriver là, alors ce soir, je me donne le droit d’être affectée, de me sentir toute petite, inexistante, impuissante.
La route n’est pas finie pour cette saison 2022/23, mais le chemin sera beaucoup plus long pour aller chercher le titre de championnes de France. Pourtant cela fait trois mois que nous sommes en tête du championnat, et encore à ce jour, mais ce soir est notre troisième défaite consécutive toutes compétitions confondues.
Je me demande pourquoi je cours toujours après ce titre. Je me demande pourquoi, nous les sportifs, nous avons toujours ce besoin excessif de nous accrocher à un nouveau challenge. Il y avait pourtant trois chances de remporter un titre : une chance en coupe d’Europe (éliminées depuis le premier tour), une chance en coupe de France (vous connaissez la soirée que je viens de vivre) et une en championnat. Tout est encore possible et je suis de nature à toujours y croire, mais, ce soir, je suis vraiment remplie d’un gros doute. Je m’autorise vingt-quatre heures de déception avant de repartir. C’est ma règle : vingt-quatre heures pour être heureuse d’une victoire comme déçue d’une défaite et ensuite repartir de l’avant.
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Des doutes et des ambitions
Je me sens vide et seule… Car il n’y a rien qui puisse enlever cette sensation, et surtout cela fait bien longtemps que je n’ai plus une épaule sur laquelle pleurer. Il paraît qu’avec le temps on devient plus insensible, plus forte, mais ce soir, je n’ai envie de plus rien, je baisse les armes. Si ce challenge valait vraiment le coup, serais-je plus heureuse après avoir gagné ce titre ? Cette nuit, mon cerveau ne s’arrêtera pas et je remettrai tout en question, comme toujours ; qu’aurais-je pu faire de plus, de mieux ? Une question resurgit dans ma tête : as-tu encore le niveau ? Je suis envahie de doutes.
Et je pense également à cette belle compétition qui arrive, cette envie incroyable que j’ai de faire les JO en 2024, la bataille sera encore longue ou ne sera pas. Croyez-vous vraiment que tout cela en vaille le coup ? Je crains l’échec, j’ai peur de tomber. Que de sacrifices pour que cela s’arrête brutalement.
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« Je dois être fière d’avoir pu choisir cette vie inhabituelle qui est celle d’une sportive de haut-niveau »
Et puis je pense à tous ceux qui nous soutiennent, qui vivent à travers nos matchs, qui trouvent une satisfaction encore plus grande à chacune de ces victoires, qui seront très certainement touchés par cette défaite alors qu’ils me sont inconnus. Et puis je pense à eux, là-haut, et qui sont déjà si fiers de moi et me diraient de ne pas abandonner, de revenir demain souriante en remerciant l’Éternel de pouvoir vibrer et ressentir ce genre d’émotions. Je dois être fière d’avoir pu choisir cette vie inhabituelle qui est celle d’une sportive de haut-niveau. Cette vie hors de « ce qu’on est censé faire à mon âge », hors des critères, hors de la société patriarcale qui me demande sans cesse : « à quel âge vas-tu arrêter de jouer ? » comme si, passé la vingtaine, il y avait une date de péremption ! Et mamie me dirait de là-haut, que je peux être fière de la femme que je suis devenue et que ce n’est que le début.
Alors demain, le réveil sonnera à 5h45 pour rentrer à Nantes, et vendredi je retournerai au travail pour m’accrocher à ces rêves et objectifs. Car dans trois jours, la journée 23 du championnat sera disputée et nous devons garder notre place de leader, incontestablement.
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