Rencontre avec Marie Nicolle, actrice de la pièce de théâtre
À la rencontre des sportives

Rencontre avec Marie Nicolle, actrice de la pièce de théâtre « Féminines »

« Pauline Bureau, la metteuse en scène, voulait faire une pièce sur l’importance du collectif. Elle voulait interroger la notion de groupe, ce que ça fait de jouer en équipe, tout en parlant de la place des femmes dans cette société des années 60-70 »

Julien Legalle
03.12.2019

Tout commence en 1968 à Reims à l’occasion de la traditionnelle kermesse du journal l’Union. Chaque année, l’avant-tournoi de foot est animé par une exhibition farfelue. Après le combat de catch des lilliputiens un an auparavant, Pierre Geoffroy, le journaliste et organisateur du tournoi, propose un match de filles. Composée de joueuses de 16 à 32 ans, cette équipe deviendra  la première équipe de France et participera à la coupe du monde 1978 à Tapei. Féminines a vu le jour à la Comédie de Caen d’ Hérouville Sait-Clair en Normandie, grâce à Pauline Bureau et son équipe. Avant de partir en tournée dans toute la France, j’ai eu le plaisir de rencontrer Marie Nicolle, qui interprète le personnage de Johanna. Rencontre.

 

Comment est née ce projet de Féminines ?

Pauline Bureau, la metteuse en scène, voulait faire une pièce sur l’importance du collectif. Elle voulait interroger la notion de groupe, ce que ça fait de jouer en équipe, tout en parlant de la place des femmes dans cette société des années 60-70 à travers leur performance sportive.

Quel regard portez-vous sur cette équipe de foot féminine à Reims en 1968 ?

C’est très touchant et émouvant de pouvoir interpréter le parcours de ces joueuses. Elles ont réussi  à suivre leur rêve coute que coute, à sortir d’une vie banale qui les conditionnait à être une femme de… et une mère au foyer, sans épanouissement personnel. 90% d’entre  elles vont même faire partie de l’Equipe de France. Pierre Geoffroy, le coach, complétera l’équipe en amenant des joueuses de l’étranger. Elles vont jouer dans le monde entier, aux USA au Mexique, en Chine. Elles vont participer à une coupe officieuse en 1971 et dans le spectacle, nous parlons de la Coupe du monde 78 à Tapei.

Au départ, ce premier match est une plaisanterie…

Oui ! les joueuses répondent à une petite annonce dans le journal pour jouer un match d’exhibition avant le tournoi des garçons.  Elles sont une attraction. L’année précédente, il y avait des lilliputiens.

Les footballeuses n’en avaient pas forcément consciences, elles voulaient jouer au foot, s’amuser. Elles ne se considéraient pas forcément comme féministe. En revanche, aujourd’hui, on voit que ce geste était hautement politique.

 

Au départ, les footballeuses n’en avaient pas forcément consciences des inégalités, elles voulaient jouer au foot, s’amuser. Elles ne se considéraient pas forcément comme féministe. En revanche, aujourd’hui, on voit que ce geste était hautement politique.

 

Une première difficile comme le témoigne certaines joueuses de l’époque. Une grande partie des spectateurs sont venus pour se moquer.

Cela fut difficile au début. Elles entendaient des  remarques désobligeantes, vulgaires sur leur compte… Dans la presse, certains pensaient que ce n’était pas vraiment des femmes, certains médecins indiquaient que les femmes ne pouvaient pas jouer au foot à cause de leur poitrine… qu’elles ne pourraient pas avoir d’enfant… d’ailleurs pendant un an la gardienne de Reims a dû jouer avec une prothèse plastique pour se protéger les seins… cela a dû être compliqué à vivre. A contrario, une partie du public fut aussi très surpris par le niveau de jeu des filles. Tout le monde n’était pas contre elles.

A votre avis, En allant sur le terrain des hommes, le geste de ces pionnières devient-il également politique ?

Oui ! pour moi, des histoires personnelles aussi fortes ne peuvent être que politique. Au départ, elles n’en avaient pas forcément consciences, elles voulaient jouer au foot, s’amuser. Elles ne se considéraient pas forcément comme féministe. En revanche, aujourd’hui, on voit que ce geste était hautement politique.

Aujourd’hui, est-ce encore politique pour une femme de joueur au foot ?

Oui je le pense. Pendant la dernière coupe du monde, nous avons encore entendu des paroles bizarres, on a aussi vu l’équipe américaine attaquer sa fédération en justice pour obtenir un traitement égalitaire avec l’équipe masculine alors qu’elles sont quatre fois championnes du monde… En revanche, les joueuses actuelles en ont conscience. Les américaines se revendiquent féministes, ce n’était pas le cas à l’époque.

Avez-vous suivi la Coupe du monde féminine ? Qu’en avez-vous pensé ?

Oui je l’ai suivi comme beaucoup d’autres compétitions sportives. J’avoue avoir été un peu triste que l’équipe de France ne soit pas championne du monde…  on a regardé pas mal de matchs avec l’équipe de Féminines. Il y avait une belle ambiance autour et dans les stades. Le grand public s’est intéressé aux matchs, il connaissait les joueuses.

Crédit photo : Simon Gosselin

Lorsque l’on voit la pièce, on observe assez vite que vous êtes sportive.

Oui ! Dans ma première vie, j’ai fait quinze ans d’athlétisme dont sept ans à haut niveau.  Je pratiquais le 800 et 1500 mètres. Je voulais faire du foot mais mes parents ne voulaient pas… Ma mère avait peur que j’ai les jambes arquées [Rire]. J’ai toujours pensé que la vraie raison est qu’elle imaginait que le foot était un sport de garçon donc pas fait pour une petite fille… Comme elle m’avait dit qu’il fallait courir vite pour jouer au foot, j’ai commencé l’athlétisme… je pouvais quand même y jouer dans la cours d’école avec les garçons. Aujourd’hui je continue à courir, je joue au tennis et pratique le yoga.

Sauf erreur de ma part, vous jouiez également dans la pièce « Le mental de l’équipe ».

Oui vous avez raison, dans Le mental de l‘équipe, je jouais un petit garçon ! c’est l’histoire d’un joueur en fin de carrière qui tire un coup franc. Et toute la pièce est sur ce coup franc ! Contrairement à Féminines où les scènes de foot ont été tourné en extérieur avec des vrais joueuses, là, on jouait au foot sur le plateau. Dans Féminines,  Pauline Bureau utilise la vidéo pour donner de la vraisemblance au jeu, de jouer sur un vrai terrain,  car nous ne sommes pas footballeuses. Je pense que l’on me propose des pièces sur le sport car j’ai un passé d’athlète.

Existe-t-il des similitudes entre les sportives et les comédiennes ?

Cela fait quinze ans que je travaille avec Pauline Bureau. C’est la première que nous faisons une pièce avec autant de scènes de groupe. C’était important pour nous de montrer le coté collectif de cette aventure. Utiliser le foot pour parler de notre vie de groupe.  De bien jouer ensemble pour que le spectateur croit à cette histoire. Nous devons toutes aller dans le même sens. Lorsque le groupe est fort, on peut aller très loin, que ce soit en gagnant un match ou en jouant une pièce. Et puis, le sport m’a donné de la discipline, de la persévérance et de la ténacité  qui permettent de surmonter des périodes plus difficiles, car le métier d’actrice peut être précaire.

On a vu ces dernières années, de nombreuses pièces autour du sport. Le sport serait-il devenu un sujet respectable ?

Le théâtre s’ouvre et les arts se mêlent de plus en plus. Depuis quelque temps, j’observe de nombreux mélanges entre la musique, le théâtre, la danse et le cirque. Pour moi, le sport est un art donc il n’y avait aucune raison de ne pas l’exploiter comme sujet. Et puis les sportifs viennent aussi de plus en plus vers le théâtre et l’art, je pense à Cantona et Leboeuf. Ces nouveaux sujets amènent un nouveau public qui se mélange avec les habitués. Dans nos pièces, on a beaucoup de chance car nous avons un public très jeune. Lors de la première de Féminines, les jeunes étaient debout , ils étaient à fond, c’était génial !  On est loin de l’époque où sortir au théâtre était presque une punition pour les ados.

Vous avez déjà joué plusieurs pièces de Pauline Bureau. Pourquoi ?

Avec Pauline Bureau, cela fait quinze que l’on se connait. Nous nous sommes tous rencontrés au conservatoire de Paris, entre 2001 à 2004. A partir de cette promo, on a formé une troupe. C’est une superbe aventure humaine.  Nous ne jouons que des pièces écrites par Pauline, et ce qui est magique, c’est que  les sujets évoluent avec nous, au fil de nos vies. Comme elle écrit pour nous, elle adapte le rôle à notre évolution personnelle et professionnelle. Nous ne sommes pas figés. Il y a un noyau dur auquel s’ajoute des nouveaux, cela permet de faire avancer tout le monde, de ne pas rester figés dans un théâtre imaginé il y a  plus de 15 ans.

 

Propos recueillis par Julien Legalle

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Les dates de la tournée « Féminines » :

Théâtre de la Ville – Les Abbesses, Paris
du 27 novembre au 7 décembre 2019

Théâtre Roger Barat, Herblay
le 10 décembre

Théâtre Dijon Bourgogne, CDN de Dijon
du 16 au 20 décembre

Le Pont des Arts, Cesson-Sévigné
le 9 janvier 2020

Le Granit, scène nationale de Belfort
les 14 et 15 janvier

Théâtre de Fos sur Mer
le 21 janvier

Le Liberté, scène nationale de Toulon
le 24 janvier

Le Bateau Feu – Scène nationale de Dunkerque
les 4 et 5 février

La Nouvelle Scène de la Somme, Nesle
le 8 février

Théâtre d’Angoulême – Scène nationale
les 10 et 11 mars

La Filature – Scène nationale de Mulhouse
les 18 et 19 mars

Théâtre Firmin Gémier – La Piscine, Châtenay-Malabry
les 24 et 25 mars

Nest – CDN de Thionville
le 31 mars

Julien Legalle
03.12.2019

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