À la rencontre des sportives

Madame Football Club, le projet ambitieux du Paris Alésia FC

Solène Anson
26.01.2021

Ferhat Cicek, directeur technique au sein du club du Paris Alésia FC depuis six ans, a lancé en septembre dernier le projet Madame Football Club. Celui-ci permet à toutes les femmes passionnées de football de s’exercer dans un cadre festif, ludique et convivial. Depuis le lancement, 40 joueuses ont franchi le pas. 

En quoi consiste le projet Madame Football Club ?

Ferhat Cicek : C’est une idée que j’avais déjà en tête depuis plusieurs années. Je suis arrivé au club en 2014 et ma priorité était avant tout les enfants. Notre objectif était donc de proposer un projet sportif, social et humain afin de faire de ce club une grande famille dans laquelle tout le monde peut s’épanouir. Depuis, nous sommes passés de 80 enfants à 600, et de trois éducateurs à une cinquantaine. En 2019, je souhaitais casser les codes afin que le football chez les filles débute plus tôt et que l’on arrête de le voir comme un sport de garçon. Je voulais donc m’attaquer aux plus jeunes, les 5-12 ans. La première saison, 65 filles se sont inscrites. Le concept Madame Football Club était dans cette continuité, car l’offre du football féminin tourne essentiellement autour du football de compétition. Une femme se dirige vers un club, désire une licence, elle fait des tests pour s’inscrire, puis s’entraîne plusieurs fois par semaine. Si elle est sélectionnée, elle joue le week-end. Seulement, ce phénomène ne correspond pas forcément à la demande de toutes.

Quelle est sa particularité ?

Les entraînements se déroulent une fois tous les 15 jours dans un cadre convivial, festif et ludique. Madame Football Club n’empêche pas une femme qui pratique régulièrement le football ou qui aime le football mais qui n’a jamais joué et qui a envie de franchir le pas, de participer à la séance. Certaines ont envie d’exercer cette activité juste pour le plaisir. D’autres n’ont pas forcément le temps de s’y consacrer à cause de leur vie privée ou professionnelle. L’objectif est de répondre à la demande. Quelqu’un qui aime le football trouvera toujours sa place dans une équipe. 

Que retenez-vous des premières séances ?

Dès la première séance, 35 filles étaient présentes. Je ne m’attendais pas à voir autant de femmes venues de milieux différents. Certaines femmes avaient déjà un bagage technique puisqu’elles ont joué par le passé dans un club, et d’autres découvraient complètement ce sport. À ma surprise générale, les mamans du club qui d’habitude assistaient à l’entraînement de leurs enfants ont eu envie de tester le football. Les séances se sont donc bien déroulées, car le club était bien organisé, avec une quantité suffisante d’éducateurs ainsi qu’un matériel de qualité. Les femmes ont compris que le concept était divertissant, agréable et propice au bonheur.

Qu’avez-vous ressenti lorsque ses femmes ont participé au projet ?

J’étais satisfait sur le plan humain, car j’ai pu voir des femmes heureuses et souriantes. La réussite de ce projet ne réside pas dans le nombre d’inscrites, mais dans la fidélité. Le cadre d’entraînement permet de se lâcher et ce n’est pas seulement elles, mais aussi les éducateurs et les spectateurs.

Quel est l’apport des éducateurs sur le terrain ?

Il est énorme car ils ont déjà une culture du club. Ils font les choses car ils les aiment, ils prennent du plaisir et de leur temps en plus d’être bénévoles. Au lieu d’être chez eux à 20 h 30, ils sont sur un terrain de football en train d’entraîner des femmes qui pour certaines, rencontrent le football. J’ai reçu énormément de messages positifs sur les réseaux sociaux lorsque je publiais certaines vidéos des soirées d’entraînements. Naturellement, le groupe s’affronte par niveau, ce qui permet à tout le monde de s’y retrouver et d’avancer. Et justement, les entraîneurs croient en ce projet. Ils veillent à équilibrer les choses et à ce que personne ne soit frustré. Celle qui n’y arrive pas au pied, se forme à la main. C’est là où leur apport est important, ils ont un œil de footballeurs, ils ont un œil d’éducateurs, car il y a une part d’éducation pour apprendre ce sport. Ces acteurs du club ont des compétences et mettent en place des ateliers accessibles à tout le monde, en y mettant beaucoup de plaisir. Cela permet de créer une certaine effervescence. Chacune pourra s’entraider et se soutenir sans être dans un esprit de compétition. 

Qu’est-ce qui est le plus important lorsque l’on souhaite intégrer le dispositif Madame Football Club ?

Aimer le football même si l’on ne sait pas jouer. Lorsque l’on aime quelque chose, on a plus de facilité à le faire. Si on apprend à toutes ces femmes à adorer le football, à apprécier le club dans lequel elles sont ainsi que les séances mises en place, les femmes auront quand même l’envie de venir à l’entraînement malgré les mauvais temps. 

En 2021, peut-on être une femme, jouer au football et être encore jugée ?

Malheureusement oui, mais les mentalités évoluent et elles changeront grâce aux différents clubs de football qui mettront en place différents projets autour des femmes. Au sein de la structure Madame Football Club, les femmes ne sont pas jugées mais libres. Au-delà même des préjugés des hommes vis-à-vis des femmes sur leur pratique du football, les femmes vont être dans un esprit de concurrence. Une joueuse qui a le niveau va plus facilement se moquer d’une femme n’ayant pas des qualités techniques ou athlétiques. Les femmes sont jugées plus facilement par rapport aux hommes car elles doivent être quoiqu’il arrive crédible sportivement. Quelques personnes pensent que parce qu’une femme ne sait pas jouer, elle n’a pas le droit de jouer. Je ne pense pas. Si elle a envie de jouer elle peut en profiter tout en faisant du sport. 

Que diriez-vous aux clubs pour les convaincre de lancer ce concept ?

Il faudrait libérer un créneau, solliciter des éducateurs qui soient volontaires et ne surtout pas avoir peur de se lancer. Les mamans des enfants peuvent être une source de développement du sport féminin. En plus, cela incite les personnes à pratiquer une activité sportive, donc un bien-être physique et mental, surtout en cette période de crise sanitaire. En plus il y a eu le phénomène de la Coupe du Monde et la révélation de clubs comme l’OL ou encore le PSG, mais le football féminin ne s’arrête pas simplement au statut professionnel. Le football est un outil d’éducation par le sport. Chez les hommes tout comme chez les femmes, on veut que ce soit un système d’éducation pour la santé morale et corporelle. Il est compliqué d’être une femme, d’avoir fait très peu de sport et de se lancer lorsque l’on s’est toujours consacrée à sa vie professionnelle, familiale et personnelle. Les sports collectifs nous transportent dans un élan. Et si les clubs ont les moyens d’instaurer ce dispositif, je les invite et je les encourage à le faire.

Avez-vous d’autres projets dans la continuité de celui de Madame Football Club ?

Lorsqu’un homme va chez le médecin, au lieu qu’on lui prescrive des médicaments, je souhaiterais qu’on lui prescrive du sport pour ses bienfaits. Le meilleur vaccin au monde c’est le sport car il renforce les défenses immunitaires et la personne que l’on est. Pour la suite des choses,  j’aimerais que des entreprises, des entités puissent nous aider financièrement ou humainement à promouvoir le projet Madame Football Club, afin de le mettre en place dans différents clubs de la région parisienne, et le dupliquer dans d’autres structures. Par exemple, une entreprise prend en charge les équipements pour que toutes les femmes soient habillées de la même manière, ce qui renforcerait la cohésion et le sentiment d’appartenance. J’ai reçu énormément de messages de femmes qui habitent à Mantes-la-Jolie ou encore à Sarcelles, et qui ne peuvent pas participer à cette effervescence à cause de la distance. Si des clubs dans leur zone pouvaient développer le concept en ayant l’amour de ce projet, ce serait vraiment super. La deuxième étape serait de s’entraîner une fois par semaine pour donner l’occasion à toutes les femmes de venir jouer, et par la suite, toutes les six semaines, participer à des tournois par équipes. 

Propos recueillis par Solène Anson

Solène Anson
26.01.2021

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