À la rencontre des sportives

Au Congo, la karatéka Laurence Fischer aide les femmes violées à se reconstruire

Assia Hamdi
11.07.2017

Depuis 1996, en République Démocratique du Congo, un conflit entre milices armées pour les ressources naturelles a causé des millions de morts. Le viol est l’arme la plus redoutable de cette guerre civile : on estime à 500 000 le nombre de femmes victimes depuis le début du conflit. « Ce qui se passe là-bas est une catastrophe », confie Laurence Fischer.

L’ancienne karatéka française se rend dans l’Est du pays, sur les rives du lac Kivu, une fois par an. Depuis octobre 2014, la triple championne du monde enseigne le karaté à des femmes victimes de viols, dans le cadre de la fondation Panzi. Lancée en 2008 à l’initiative du professeur congolais Denis Mukwege Mukengere, cette fondation soutient et accompagne les victimes les femmes violées dans leur reconstruction physique, psychologique et dans leur réinsertion dans la société. « Une jeune fille de 23 ans nommée Alphonsine a émis un souhait de faire du karaté, on m’a donc sollicitée, raconte celle qui est également sept fois championne d’Europe et onze fois championne de France. Aujourd’hui, on suit une vingtaine de filles par an. »

« Le karaté est un outil de self-défense »

Dans le cadre de séances de karaté, Laurence aide ces femmes victimes de viols à retrouver une tonicité corporelle. Certaines jeunes femmes hébergées à la fondation ont en effet des séquelles suite aux violences subies. « Il y a des symptômes physiques graves, le corps n’est plus musclé et il y a des déchirures entre le vagin et le rectum. Leur corps n’est souvent pas non plus remis en mouvement, il a du mal à se réparer et elles subissent de l’incontinence. » La karatéka leur fait travailler le périnée et l’assouplissement physique à raison de deux séances par semaine.

Mais l’usage du karaté a aussi un objectif psychologique. « Cela donne à ces femmes un outil de self-défense. Il y a aussi une dimension thérapeutique dans le fait de pousser des cris ou de mettre un kimono : elles ont l’impression d’être un personnage, de se transformer, raconte Laurence. Elles donnent des coups de poing et ce qui se passe même parfois, c’est qu’elles imaginent qu’elles combattent leur violeur… » Chez beaucoup de ces jeunes femmes, entrevoir une guérison est une longue bataille. « La fille qui va en parler va être stigmatisée et rejetée. Certaines ont aussi des enfants issus du viol. Il y a parfois du déni : pour elles, c’est comme s’il ne s’était rien passé. »

Un entraîneur poursuit le travail de Laurence Fischer en son absence

Par humilité, Laurence Fischer ne voulait pas pas être « la championne qui se déplace une seule fois », mais que le programme soit réellement pérenne. C’est pour cela qu’un entraîneur poursuit le travail en son absence. « Franck Kwabe est un entraîneur congolais, il est sur place et il est chargé de donner les cours. J’ai créé un petit livret sur le périnée et je l’ai formé, mais c’est lui qui applique le travail. » Cette humilité se traduit aussi dans la prudence dont Laurence fait preuve dans ses échanges. « Avant de me rendre au Congo, j’ai lu beaucoup de choses, je me suis informée. Par ailleurs, je suis une passeuse d’informations, mais c’est aux femmes de se les approprier et de les appliquer à leur situation. »

Le sport est un « vrai outil d’émancipation » pour Laurence Fischer, qui lutte depuis des années pour appliquer ce credo. Depuis la fin des années 90, elle a oeuvré à Marseille, en formant des jeunes de la ville au karaté, mais l’ancienne athlète de haut-niveau, diplômée de l’ESSEC, a aussi travaillé au sein de la fondation GDF pour l’éducation par le sport. En 2005, Laurence avait déjà fait un voyage en Afghanistan avec Play International, anciennement Sports Sans Frontières, où elle avait oeuvré contre « l’absence de liberté des femmes » et pour que le sport « leur serve pour s’affirmer dans la société et montrer qu’elles existent. »

« permettre à des personnes vulnérables et précaires de trouver des outils par le sport pour s’affirmer ».

Perfectionniste et pugnace, Laurence se souvient qu’elle a parfois elle-même eu la difficulté d’exister en tant que une femme dans son sport. « Nous avons eu accès au karaté qu’au début des années 1980, c’est trop récent, regrette t-elle. Le premier championnat d’Europe senior féminin avait lieu en même temps que le championnat du monde masculin…cadets. C’est dire. Et il n’y a que depuis 2008 qu’il y a cinq catégories de poids chez les hommes et les femmes. »

Fight For Dignity, pour permettre aux personnes vulnérables de s’affirmer par le sport

Aujourd’hui, place à l’action. En mars 2017, Laurence Fischer a créé Fight For Dignity, son association, pour « permettre à des personnes vulnérables et précaires de trouver des outils par le sport pour s’affirmer ». Le projet au Congo est le projet pilote de Fight for Dignity. L’idéal, pour Laurence, serait que le travail auprès des femmes congolaises permette de récolter des données scientifiques sur l’impact de ces activités sur le public et que ces données soient réutilisées dans le cadre d’autres missions. L’association réfléchit aussi à la deuxième phase du projet : celle de la réinsertion de ces jeunes femmes dans la société. « On souhaite que notre action permette aux filles de régler leurs problèmes à la sortie, mais aussi d’éviter les récidives et, surtout, de s’émanciper par le travail, en leur permettant d’apprendre un métier. On veut les aider bien au-delà de l’aspect sportif. »

Propos recueillis par Assia Hamdi

Assia Hamdi
11.07.2017

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