Qu’on parle de viols, d’agressions sexuelles, de propos sexistes ou de violences psychologiques et/ou physiques, le traitement médiatique mondial est disparate. Au moment se s’emparer d’une affaire de violences sexistes et sexuelles dans le sport, trop peu de médias se montrent tranchant. Le faible usage du terme « féminicide » illustre cette réticence à employer dans certaines situations, les mots justes. La plupart des articles laissent une dose d’ambiguïté, une remise en question de la parole des femmes, et participent à la présence du sexisme quotidien et généralisé dans notre société. Décryptage.
Un nouveau féminicide pour une nouvelle omerta. Cette affaire est la preuve que le chemin à parcourir pour un traitement juste est encore long, très long. Le 31 décembre dernier, Mélissa Hoskins, championne olympique de cyclisme australienne, est morte après avoir été percutée puis trainée au sol plusieurs centaines de mètres par une voiture. Le conducteur était bien connue de la jeune femme de 32 ans puisqu’il s’agit de son mari, Rohan Dennis. Lui aussi cycliste de haut niveau. Il a été libéré sous caution après une courte garde à vue. Mis en cause pour avoir tué sa femme, il comparaitra en mars prochain.
Les faits sont ce qu’ils sont. Pourtant, un nombre incalculable de médias français et internationaux ont fait un choix différent, celui d’omettre certaines informations, pourtant cruciale.
Glorifier l’homme et sa carrière…
Le nom et le palmarès de Rohan Dennis sont partout. Si il est, le principal suspect dans l’enquête sur la mort de sa femme Mélissa, c’est d’abord pour ses performances sportives que l’Australien est au cœur de dizaines d’articles. « Grand nom du cyclisme, – qui est l’Australien Rohan Dennis, suspecté d’avoir tué sa femme? », « Le cycliste professionnel de renommée Rohan Dennis a été arrêté à Adelaïde, accusé d’avoir heurté sa femme avec sa voiture », « Le cycliste champion du monde Rohan Dennis a été arrêté, il est accusé d’avoir tué sa propre femme ». Voici ce qu’on titré ou tweeté RMC Sport, 10 News First ou encore 7News Melbourne.
Si ce besoin de glorifier l’athlète et sa carrière représente un manque évident de considération pour sa victime, c’est un processus pourtant régulier. L’Equipe avait par exemple consacré un article hommage à la carrière sportive de l’ancien nageur français, Yannick Agnel. Trois jours après son interpellation pour un viol sur mineur, le quotidien sportif a publié un article intitulé « Yannick Agnel, un nageur à part durant sa carrière sportive ». Le texte y vente ses « résultats exceptionnels » et sa « personnalité singulière ». Même constat concernant Benjamin Mendy, footballeur tricolore accusé de viols et d’agressions sexuelles entre 2018 et 2021. Début 2022, le premier épisode de la série Sur les traces de Benjamin Mendy voit le jour. L’homme est alors accusé de sept viols et d’une agression sexuelle (au total huit viols, une tentative de viol et une agression sexuelle) par sept femmes différentes.
…reléguer celle de la victime au second plan
Ces deux cas montrent bien la réalité que subissent les victimes. Lorsque l’accusé ou l’agresseur avéré est une personnalité publique, ici dans le milieu du sport, ses exploits et actes sportifs passent souvent avant le reste. Dans le cas de Mélissa Hoskins, peu de médias ont énuméré ses titres mondiaux (quatre fois médaillée sur piste) avant ceux de Rohan Dennis. Peut-être parce qu’en plus d’être une star du vélo, il l’est encore « plus qu’elle ». 10NewsFirst n’a même pas cité son nom, la cantonnant à l’oubli et à l’indifférence. Le Huffington Post la présenté comme « mère de 2 enfants », même pas athlète de haut-niveau. Quel aurait été le traitement médiatique si elle n’avait même pas été une sportive émérite ? La question se pose.
Le sexisme dans les médias, un bilan effrayant
Pour bien se rendre compte de ce que représente le sexisme médiatique envers les sportives et femmes en général, il existe de nombreux rapports. Dans son article Le sexisme larvé dans les pratiques du journalisme sportif, le Pôle ressources national « Sport, éducation, mixités, citoyenneté » indique les six éléments participant au sexisme dissimulé dans les médias, articles et autre contenu de sport. Parmi eux, la tendance à sexualiser les sportives, le débat sur la féminité ou encore la constante comparaison avec le sport masculin.
Un autre rapport, celui de Décadrée, intitulé Traitement médiatique des violences sexistes met à disposition des outils différents, notamment des chiffres mettant en perspective cette dénonciation. Les graphiques donnent un aspect visuel et les longues études de cas sont essentielles pour comprendre que ce traitement reste généralement le même partout (exemple de la Suisse dans le rapport).
Note tout autant concrète, celle de Margaux Collet, membre de l’Assemblée des Femmes, consultante et formatrice sur l’égalité femmes-hommes. Dans Le traitement médiatique des violences faites aux femmes, publié par le Haut Conseil Egalité, la spécialiste décrit, quand à elle, « les principales caractéristiques des articles traitant des violences faites aux femmes ». Elle y ajoute également un encadré sur l’exemple de l’Espagne et l’engagement de ce pays, considéré comme un modèle féministe. Tous ces bilans illustrent bien la problématique informationnelle et le peu de considération dont font parfois preuve les médias envers les victimes.
Etre la « Femme de »
Autre point crispant, réduire la victime à son genre et la cantonner à son rôle de compagne. Raison pour laquelle le vocabulaire est un élément majeur pour un traitement juste des affaires de violence sexiste et sexuelle. L’usage du conditionnel lui, laisse planer le doute. Selon Cnews, Mélissa Hoskins « se serait arrochée et aurait été trainée sur plusieurs mètres ». Et si ce n’est pas la victime qui est elle-même responsable de l’acte en s’accrochant tout seule comme le suggère indirectement le Parisien, c’est la voiture qui a tué pour l’agence de presse américaine AP.
Participer grandement à la désinformer, c’est ce qu’a fait The Adverstiser en présentant le meurtre présumé de Mélissa Hoskins comme un accident de la route. C’est encore pire que de parler d’une simple tragédie ou d’un drame. Respecter la préemption d’innocence, oui. Remettre en question les faits déformer la réalité, non. Le rôle de Dennis ne doit pas être occulté. Dans la liste des expressions à bannir, il y a aussi aussi sa « propre femme ». Un sous-entendu inacceptable. Tuer sa « propre femme » n’est pourtant pas un acte rare, au contraire. Il y a eu 94 féminicides en France en 2023. Bien trop.
Un combat quotidien
Mais comment lutter contre cette présentation médiatique révoltante tant elle semble démocratisée ? C’est ce pour quoi se battent plusieurs acteurs dont l’association Prenons la Une. Comme l’explique ce groupe de journalistes, les violences faites aux femmes sont un fait de société. L’association a donc établi une liste de recommandations, des outils pour une représentation plus juste. 11 points, comme celui de bannir le terme « drame familial » ou toutes les expressions relatives au « crime passionnel ».
Rose Lamy, autrice et militante française est connue grace à ses publications sur son compte instagram, Préparez-vous pour la bagarre. Son livre « Défaire le discours sexiste dans les médias » et un décryptage bien pensé qui tend à une déconstruction des mythes via l’éducation et la prise de parole féminine. Même engagement pour l’auteur et journaliste sportif Ludovic Ninet avec son livre L’Affaire Cécillon. Chantal récit d’un féminicide. Révolté par le meurtre de Chantal Cécillon, tuée par son mari Marc Cécillon, Ludovic a voulu sortir la victime de l’ombre de l’ex rugbyman. Le mot principal de l’article, féminicide, a été intégré au Larousse seulement depuis 2021 et n’est toujours pas reconnu en tant que tel par le Code pénal français.
Le traitement médiatique sexiste généralisé
Ce sexisme dans les médias s’applique en fait partout. Dans le sport, mais pas que. Peu importe le domaine, la loi est la même. Cette tendance est exacerbée dans le milieu sportif ou les performances et jouent en faveur de l’accusé. S’il existe des exceptions (papier d’Eurosport et du Guardian sur Mélissa Hoskins), le problème reste global. Trop souvent, la parole de la victime est questionnée. L’affaire Jennifer Hermoso en est l’exemple. La footballeuse professionnelle a été cet été victime d’une agression sexuelle par Luis Rubiales. Le traitement dans les médias a été désastreux. La presse remettant parfois l’agresseur au cœur de l’affaire.
Les lignes éditoriales participent sans surprise à la manière dont seront traitées ces affaires. De pays en pays, le mutisme journalistique est réel, et il représente un fléau sociétal. Seul El Pais (Espagne) et le Parisien ont rappelé par exemple que Rohan Dennis avait déjà été accusé de violences conjugales en 2021. Elément qui a plus que son importance. Que ce soit avec une photo du couple heureux, un paragraphe qui rappelle les exploits de Dennis, son état mental ou un terme inapproprié, peu de médias ont pris le partie d’un éclairage complet. Une affaire parmi tant d’autres.
Photo de Delia Giandeini sur Unsplash
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