Chroniques des ambassadrices

Isaline Sager-Weider : « Au fil du match, je me prends au jeu des commentaires »

Isaline Sager-Weider
02.08.2023

Voici la chronique d’Isaline Sager-Weider, joueuse professionnelle de volley-ball depuis 2007. Elle évolue au poste de contreuse centrale. Joueuse de l’équipe de France depuis 2012 et vainqueure de la Golden League en juin 2022, elle a remporté la médaille de bronze au championnat du monde militaire en juin 2018. Elle est également vice-championne de France avec l’ASPTT Mulhouse volley de 2009 à 2012, et trois fois championne de France espoir de 2007 à 2009. Elle est engagée dans le syndicat des joueurs Prosmash et en faveur du volley santé.

Luc, l’un des assistants son de la régie, m’explique qu’il préfère qu’on le prénomme Marc. J’acquiesce avec un sourire du haut de mon tabouret et devant mes deux écrans. De ma position idéale, j’ai sans doute la meilleure vue sur le terrain. D’ici je peux observer et commenter au mieux le match en direct de cette belle salle Mayenne à Laval. Il y a deux ans, avec cette même équipe de France, nous avions eu la chance de pouvoir inaugurer cet espace lors de matchs amicaux contre la Suède et la Finlande. Jusqu’à aujourd’hui, je n’avais jamais réellement prêté attention à l’envers du décor du volley spectacle. J’étais tellement focalisée sur la compétition, le match qui arrivait à grand pas, que je restais dans ma bulle. Nous restons toutes dans cet environnement clos, concentrées uniquement sur nos objectifs et notre performance.

« J’ai décidé de transformer cette déception en expérience »

Munie de mon casque de pilote orné d’un joli micro, Bertrand, le journaliste du diffuseur TV, me rassure. Il m’explique l’utilité des quelques boutons positionnés entre nos deux tables. L’un me permet de discuter avec lui hors antenne. Il me précise que cela permet souvent de se raconter quelques blagues en voix off. L’atmosphère est détendue, mais quand la régie, depuis son car, annonce « début dans 30 secondes », le stress monte.

Voici l’équipe de France qui se présente sur le terrain devant son public et devant moi, mon équipe, à laquelle j’appartenais encore il y a quelques semaines. À la différence que les projecteurs qui illuminent le terrain me mettent aujourd’hui dans l’ombre. J’ai assez rapidement proposé ma candidature pour ce poste de consultante sur la « Challenger Cup ».

Isaline Sager-Weider aux commentaires avec Bertrand Pucheu pendant la finale de la challenger cup.

Bon nombre de personnes m’ont dit qu’elles n’auraient jamais réussi à venir voir, supporter et commenter leur équipe. J’ai rétorqué que si notre égo prenait moins de place dans ce monde, ce dernier tournerait certainement bien mieux. C’est donc ce que j’ai fait après avoir digéré la décision du coach de ne pas me sélectionner pour cette compétition, après dix années. J’ai décidé de transformer cette déception en expérience et de saisir l’opportunité de faire de nouvelles découvertes.

J’ai d’ailleurs pensé que j’allais être émue, déçue, en colère de ne pas être sur le terrain. Il n’en a rien été. J’étais dans un autre rôle, dans une autre vie, le temps d’un instant. Une étrange sensation. Une envie soudaine de ne plus comparer et de laisser au passé ce qui lui appartient. Au fil du match, je me prends au jeu des commentaires. L’exercice n’est pas si facile. Le degré de concentration doit être optimal et il faut tâcher d’expliquer de la manière la plus simple qui soit les actions pour le plus grand public.

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Retour à l’anonymat

Fin du match : 3-0 pour la France, une victoire nette qui lui ouvre les portes de la demi-finale. Je file au VIP rejoindre les joueuses, les partenaires, le staff et tous les organisateurs de la fédération et du département. Une jeune fille m’interpelle pour me demander une photo. Puis, plus tard, Célia de la régie tremble presque quand je lui propose de lui envoyer un maillot de match par la poste. Un étonnant sentiment de soulagement m’envahit. La peur de disparaitre de cet univers ronge bon nombre d’athlètes. Devenir anonyme, ne plus faire rêver et être si facilement remplacée par n’importe qui d’autre.

Je n’ai pu refuser la proposition de Virginie et Clotilde, deux actrices importantes de la communication de la fédération, de rester pour commenter le match suivant opposant l’Ukraine à la Croatie. Avant le démarrage du second match, j’entre dans une salle pleine de grandes tables rondes où tous les acteurs qui travaillent en coulisse sont en train de se restaurer. Je reconnais le rôle de chacun à la tenue qu’il porte : il y a des bénévoles, les professionnels de l’audiovisuel et de la diffusion, les services des premiers secours, les arbitres internationaux… et moi.

L’envers du décor

Je discute devant un rougail saucisse avec un acteur de la régie qui me propose de visiter le fameux car après le diner. C’est incroyable, je découvre une sphère dont je n’avais pas conscience. Bien évidemment, je me doutais qu’organiser une compétition avec huit équipes et une diffusion médiatique nécessitait de la main d’œuvre, mais pas à ce point ! J’ai donc droit à une visite express, car la prise d’antenne est dans vingt minutes.

Entre deux commentaires de match, Isaline Sager-Weider rencontre Célia Diaz, assistante vidéo.

À l’intérieur du bus se condensent une cinquantaine d’écrans avec chacun un cadrage différent. Neuf personnes sont confinées dans cet espace restreint et installées devant une multitude de boutons. Un monde inconnu pour moi et pour quasiment tous les athlètes. Nous ne réalisons pas la multitude de personnes qui s’investissent corps et âme pour que le volley-ball se développe, soit de plus en plus visible, par le biais de tous les supports médiatiques.

La journée se clôture après le deuxième match. Il est déjà vingt-deux heures et je rejoins la loge du personnel de la fédération. Virginie est en train d’organiser les visuels des panneaux réfléchissants leds du lendemain. Pascale travaille encore et toujours devant son ordinateur. Elle est à la même place qu’il y a sept heures, quand je suis arrivée. Certains font une mini-pause bien méritée. La compétition ne fait que commencer pour eux. Il reste trois jours.

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« Tout ce système permet de faire briller notre belle discipline »

Sur le chemin du retour, je réalise pleinement cette organisation complexe et ce travail continu en coulisse par les bénévoles et les employés des fédérations comme des clubs. Mais aussi la mise en place et la coordination des différents métiers et acteurs de terrain, autour bien souvent d’une seule et même équipe, que ce soit durant une saison sportive ou un évènement de quelques jours. Tout ce système permet de faire briller notre belle discipline et participe activement à la valorisation et à la médiatisation du volley féminin.

Tous ces acteurs et travailleurs de l’ombre m’inspirent un profond respect. Qu’ils soient bénévoles ou salariés, c’est avant tout leur investissement qui permet que les évènements sportifs soient une fête, y compris et peut-être surtout pour les athlètes. On les oublie souvent, car ils sont discrets, parfois invisibles et n’attendent rien en retour, à part peut-être un sourire de temps en temps ou une photo avec une joueuse. Pour tout ce que vous faites pour nous, je profite de cette chronique pour vous adresser à toutes et tous un grand et sincère merci.

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Isaline Sager-Weider
02.08.2023

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