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L’interview de Paul-Henry Bizon, auteur de l’ouvrage Olympia

Julien Legalle
01.05.2023

Dans Olympia (Gallimard), Roxane Vidal, directrice marketing d’un horloger de luxe suisse, choisit Marie-José Pérec comme égérie de la marque pour les JO 2024. La rencontre avec la championne olympique va faire ressurgir des traumatismes lourds chez la jeune femme, pour qui Marie-Jo devient une figure protectrice. Rencontre avec Paul-Henry Bizon, au sujet de son deuxième roman.

Les Sportives : Comment est venue l’idée d’écrire ce roman ?

Paul-Henry Bizon : Le premier moteur de ce livre est ma fascination pour Marie-José Pérec. C’est un souvenir d’adolescent. Je l’admirais beaucoup et j’avais gardé le souvenir de sa disparition à Sydney que je trouvais très romanesque. Vingt-ans après, elle a acquis une dimension légendaire qui résonne très fort avec l’actualité sportive, notamment avec les prises de parole de Simone Biles et de Naomi Osaka.

Qu’incarne Marie-José Pérec pour vous ?

À cette époque, je pratiquais plusieurs sports dont le football, le tennis et l’athlétisme. Je connaissais la souffrance que peut engendrer le sport. Et j’admirais Pérec car elle ne semblait pas souffrir ! Elle incarnait la puissance et la fragilité, quelque chose de l’ordre de la facilité, de la grâce. Elle était très rapide pour le 400 mètres, une distance où c’était habituellement la force qui prédominait. Plus personnellement, le souvenir que je gardais d’elle me renvoyait à un temps d’innocence. Lorsque je la regardais courir, je voyais une sœur, une Française qui défendait le pays auquel nous appartenions à égalité. Je me fichais de sa couleur de peau, je ne la voyais même pas. J’ai l’impression que son absence à Sydney coïncide avec une période où le monde change brutalement et s’engage sur une voie délétère. Un an plus tard, deux avions percuteront le World Trade Center. Deux ans plus tard, le Front National se qualifiera pour le second tour des élections présidentielles, etc. Il faut se souvenir que lorsqu’elle quitte Sydney, elle est véritablement lynchée par un certain nombre de personnes qui n’attendaient que cela. Certains vont s’attarder sur sa couleur de peau, ses origines, la qualifiant de diva, sous-entendant qu’elle s’est dopée… Il est évident qu’elle n’aurait pas subi le même déchaînement si elle avait été un homme blanc.

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L’avez-vous rencontrée ?

Pendant l’écriture, j’ai cherché à la contacter mais elle n’a pas donné suite. Je me suis dit que c’était un mal pour un bien, qu’il était sans doute préférable que je travaille seul pour ne pas être « encombré » par la réalité. Je ne souhaitais pas faire un travail de journaliste, mais bien construire un mythe à partir de la légende qui l’entourait. Une fois le roman terminé, je lui ai fait parvenir accompagné d’une longue lettre. Elle a été touchée et très émue. Elle a organisé une rencontre à Vichy en juin dernier. Elle était bouleversée car elle m’a dit que « j’avais réussi à entrer dans sa tête » et à​ formuler des choses qu’elle avait pensé mais jamais dites. J’avoue que j’ai moi aussi bouleversé par cette rencontre. Marie-José Pérec est une personne passionnante.

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Avant et pendant les Jeux olympiques de Tokyo, nous avons vu plusieurs sportives mettre en avant leurs difficultés psychologiques. Dans votre roman, vous revenez sur l’épisode de Marie-José Pérec aux JO de Sydney, probablement la première à évoquer cette souffrance. Pourquoi ce sujet ?

Je voulais lui rendre hommage car c’est effectivement la première à avoir témoigné de la monstruosité de cette pression psychologique, du harcèlement, auquel s’ajoute pour elle le racisme. Sa parole était très puissante, prophétique par certains aspects. Elle n’a pas été entendue et c’est extrêmement dommage. À l’époque, le public et les journalistes l’ont qualifiée de diva, tout le monde lui a tourné le dos. On ne peut que constater que les temps ont un peu changé. J’ai senti plus de bienveillance et d’intérêt envers les propos de Naomi Osaka et de Simone Biles qu’avec Marie-José Pérec. Du moins en ce qui concerne le public et les journalistes. Du coté des instances sportives, c’est moins évident. Quand on voit la réaction de l’organisation du tournoi de Roland-Garros, qui s’en tient à son quant-à-soi contractuel et menace Naomi Osaka de lui mettre une amende… Il me semble que ces instances vont devoir prendre en compte cette nouvelle parole. Même en disant les choses cyniquement, tout le monde y a intérêt : si les grandes stars ne viennent plus dans ces tournois, ils perdront de l’intérêt et de la valeur. Marie-José Pérec, triple championne olympique, l’une des plus grandes sportives de l’histoire du sport français, n’a malheureusement pas eu l’écoute qu’elle aurait méritée. Elle a été humiliée. J’ai relu des articles de l’époque. Certains sont d’une violence insensée. Aujourd’hui, heureusement, plus personne n’oserait dire cela d’une athlète.

Le lieu d’Olympia occupe une part centrale dans le roman. Qu’incarne-t-il pour vous ?

De mon point de vue, un élément a disparu dans le sport de haut niveau, c’est le rapport à l’aléa et au jeu. Le plaisir de l’aléatoire a été remplacé par le plaisir du contrôle. Olympia est un sanctuaire sans compétition, sans violence, où l’obligation de résultat n’existe pas et où tout peut arriver. C’est une brèche dans un monde devenu aussi inoxydable et infaillible que le boîtier d’une montre, un endroit par où l’on peut s’échapper. Olympia redonne du sens à la pratique du sport, dans toute sa polysémie, à la fois une direction et une signification. Il réenracine et permet le développement et l’épanouissement de chaque individu au sein du groupe. Si tous les terrains de sport pouvaient ressembler à Olympia, ce serait vraiment une bonne nouvelle !

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Une utopie ?

Lors de ma rencontre avec Marie-José Pérec, elle intervenait dans le cadre des Étoiles du sport auprès de jeunes athlètes au sujet de la préparation mentale. La parole était très libre et ce qu’exprimaient les jeunes femmes et les jeunes hommes présents me faisait froid dans le dos. Je me suis aperçu que dans beaucoup de fédérations, les choses sont toujours aussi brutales. Ce qui change, c’est que cette​ nouvelle génération parle, qu’elle ne veut plus subir cette injonction de la performance à tout prix, qu’elle ne veut plus supporter de harcèlement et de comportements toxiques au sein des clubs et des fédérations. Elle demande des lieux d’expression qui ressemblent à Olympia ! C’est pourquoi Olympia est une utopie que j’ai souhaité atteignable, en plaçant l’intrigue en 2024. D’ici deux ans, je ne sais pas si nous y arriverons, mais faisons déjà en sorte d’amorcer le changement en profondeur !

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Le temps est-il le personnage principal de ce roman ?

C’est le « Grand méchant » du roman, mon Joker ! Il symbolise à la fois les traumatismes physiques et psychologiques du personnage de Roxane, et les velléités de contrôle du sport par ce sponsor de l’horlogerie suisse. Plus largement, il me semble que la question de l’espace est réglée. Nous vivons dans un monde fini. Pour ceux qui ne souhaitent pas conquérir l’univers, pour que notre monde redevienne vivable, alors nous devons nous confronter à la question du temps. C’est un enjeu crucial. En refusant de nous soumettre au processus d’accélération, nous serons capables d’habiter le monde de façon plus vertueuse. Dans la pratique sportive, le temps n’existe plus en soi. Il est contrôlé et même fabriqué par le chronométreur (strating-blocks, photo-finish, etc.). D’ailleurs, Olympia est davantage un roman sur le temps que sur le sport.

Votre roman est une critique de la performance à tout prix, qu’il soit dans l’industrie du luxe, incarnée par cette entreprise d’horlogerie, et du sport.

La langue du marketing est importante dans le livre. Je pense que naturellement, le sport se tourne vers la performance et le dépassement de soi pour répondre au besoin d’émotion du public. Mais cette émotion est ensuite vampirisée, mise en boite et vendue par le marketing. En commercialisant l’émotion, le marketing vide le sport de sa chair, il vide la légende de sa substance. Le sport souffre beaucoup de cela. Il est pris au piège alors qu’il ne manque pas de belles histoires à raconter. Le plus flagrant témoignage de cette mécanique se révèle dans la parole des sportifs et des sportives tenus contractuellement à la langue de bois. On leur interdit désormais d’exprimer autre chose que des banalités pour ne pas troubler le message établi par le marketing.

Propos recueillis par Julien Legalle / Article provenant du magazine Les Sportives n°20.

Julien Legalle
01.05.2023

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