Paris 2024 – Philippe Liotard : « En cas de violences sexistes et sexuelles, l’organisation doit devenir une ressource pour la personne agressée »
Pour les premiers Jeux paritaires de l’histoire des JO, la France est-elle aussi au rendez-vous du défi posé par les violences sexistes et sexuelles dans le monde sportif ? Le sociologue et anthropologue Philippe Liotard revient sur ce qui fait la nouveauté de ces Jeux de Paris 2024 : la mise en place d’un circuit de signalement des violences sexistes et sexuelles (VSS). Si tout est loin d’être réglé, l’existence de dispositifs d’accompagnement et d’écoute des personnes agressées assure selon lui ce qui est peut-être le plus important : l’élévation du seuil individuel et collectif de sensibilité et de vigilance vis-à-vis des VSS.
Les Sportives : On a pour l’instant assez peu entendu parler de la thématique des violences sexistes et sexuelles sur ces Jeux olympiques, est-ce que c’est un sujet tabou ?
Philippe Liotard : Non, je ne pense pas que le sujet soit tabou. On le voit bien avec l’affaire des rugbymen de l’équipe de France qui nous a mobilisés médiatiquement avant les JO : elle a fait les premiers titres de l’actualité et elle a été largement relayée sur les réseaux sociaux, avec des propos qui révèlent la perception sociale des violences sexuelles. D’un côté, une dénonciation très forte et une prise en compte systématique de la position de la personne qui a été agressée, de l’autre, une minimisation et l’appel systématique à la présomption d’innocence.
Après, c’est vrai que l’on ne parle pas beaucoup de VSS sur ces Jeux, mais je dirais que c’est tant mieux, ça veut dire qu’il n’y pas de faits de violence, a priori, et il y a un tel niveau de vigilance que je fais l’hypothèse que s’il y en avait, ils seraient tout de suite pris en charge. On a quand même un certain nombre de pays qui sont très attentifs à ces questions, les États-Unis par exemple – les gymnastes américaines ont quand même subi une histoire qui a duré des années et qui s’est traduite par la condamnation à plusieurs centaines d’années de prison du coupable. On voit aussi que la discipline a l’air assez rigoureuse dans les différentes équipes, on peut penser à l’exemple de la Brésilienne qui a été suspendue parce qu’elle est sortie visiter la tour Eiffel. Et en réalité, on en parle quand même, avec le cas de Steven van de Velde, ce joueur de beach-volley néerlandais qui a été condamné pour viol sur mineur. Avant les Jeux, on a vu passer énormément d’appels à la condamnation sur les réseaux sociaux, et quand il joue, il est systématiquement sifflé. C’est aussi le signe d’une vigilance collective et d’un souci de ne rien laisser passer.
La présence, en elle même, de Steven van de Velde sur ces JO peut-elle poser problème ?
Alors, ça c’est un vrai problème, et ça pose une question qui dépasse les violences sexuelles dans le sport. Steven van de Velde est sorti de prison, il a payé sa dette. Mais la vigilance dont je parlais tout à l’heure va au-delà du pénal, il faut la penser sur le plan du jugement qui est porté sur une personne pour des raisons morales. On se situe ici du côté de la façon dont on apprécie les valeurs nécessaires à l’exercice d’une profession, qu’elle soit sportive ou culturelle. Ça pose le problème du modèle de comportement et de la valeur que l’on accorde à ces comportements, et c’est là qu’on peut effectivement se demander si une personne qui a eu ce type de comportement a sa place aux JO. Cette vigilance va consister à dire : « ce jeune homme ne devrait pas pouvoir représenter les Pays-Bas. » Après, ce que l’on voit dans le mouvement sportif, du côté des fédérations, c’est qu’on a quand même du mal à se positionner en dehors du pénal. Le pénal, c’est une bonne manière de dire que l’on n’a pas à prendre de décision parce que c’est aux juges de le faire. Mais ça a évolué depuis 2020, notamment en France.
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Y a-t-il un impératif d’exemplarité du comportement tout particulièrement dans les JO, qui restent un événement très symbolique et à forte dimension morale, non ?
C’est vrai, mais j’ai l’impression que sur les JO, malgré ce discours sur l’exemplarité et les valeurs, on est surtout concentré sur la performance ; on comptabilise les médailles et le reste a peu d’intérêt. On évacue tout ce qui est de l’ordre du politique par exemple, alors que les Jeux sont bien politiques, on l’a vu pour la cérémonie d’ouverture. Donc, les Jeux, ça permet quelque part d’écraser les problèmes. Il y a bien l’idée de la trêve olympique, mais pour nous, en France, le fait d’instaurer une trêve politique pendant les JO, c’est clairement un choix de politique interne. On ne va plus parler que des Jeux, de la fête, des victoires. C’est une façon d’effacer le monde qui peut aussi être un piège. Même si les JO sont l’occasion de parler de certains problèmes, il y a quand même une posture globale qui invite à les oublier.
Cependant, ce n’est pas parce qu’on ne parle pas de certaines choses, des violences ou des discriminations liées au genre, par exemple, qu’il ne se passe rien. La Pride House notamment est particulièrement importante en raison de la dimension internationale des Jeux. C’est très fort pour les athlètes homosexuel·les, surtout celles et ceux qui viennent de pays où il y a une pénalisation de l’homosexualité, de voir qu’il y a une possibilité de vivre sereinement et sans se cacher son orientation sexuelle.
Il y a aussi des outils développés…
Oui, c’est une autre chose très intéressante sur ces JO. Il y a un kit (de mise en place d’un dispositif de signalement et de traitement des VSS pour les grands évènements sportifs, ndlr) qui a été constitué par le Ministère chargé de l’Égalité juste avant les Jeux, dans le cadre du label d’État « Terrain d’égalité », que les organisateurs peuvent demander pour les grands événements sportifs en France et qui atteste d’une politique en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. C’est important, parce que déjà ça veut dire l’on envoie un signal à tout le monde en disant que l’on ne peut pas faire n’importe quoi, et surtout que l’on met en place un dispositif pour pouvoir prévenir les VSS et accompagner la personne en cas d’agression, avec un circuit de signalement et de traitement des violences. C’est-à-dire que s’il se passe quelque chose, tout membre de l’organisation doit savoir quoi faire et où aller, qu’il soit bénévole, agent de sécurité ou agent d’entretien. Donc, ce que l’on peut dire, c’est que même si tout le monde est concentré sur les médailles, il y a quand même quelque chose qui a été posé pour accompagner en cas de problème.
Le développement de ce kit signifie-t-il que la France s’est plutôt bien saisie de ce sujet des VSS sur les JO de Paris ?
Il y a plusieurs choses qui sont intéressantes dans ce kit, par exemple la mise à disposition d’espaces safe, de zones refuge en cas d’agression, et le fait surtout que le travail a été fait avec les administrations, les institutions, mais aussi le mouvement associatif qui travaille sur la prévention des violences sexuelles. Ça permet d’avoir un kit qui n’est pas hors-sol, qui s’appuie sur une expérience de prévention et d’accompagnement. Effectivement, tout le monde s’est réuni autour de la table et la France est plutôt à la hauteur de l’enjeu. C’est aussi intéressant d’avoir pu utiliser quelque chose qui existait déjà, ce label « Terrain d’égalité » pour introduire le kit.
Ce n’est pas se montrer optimiste ou pessimiste. Il s’agit simplement de voir qu’il y a des choses qui se mettent en place. Personnellement, je crois beaucoup à la dimension sensibilisation. Si l’ensemble des bénévoles doit être informé du dispositif pour être en mesure d’orienter quelqu’un, qu’est-ce que ça veut dire ? Que ces personnes sont sensibilisées à ce que c’est qu’une violence sexuelle déjà. Après, je ne dis pas que tout est réglé avec ça. En France, on a au moins un athlète qui est poursuivi pour des faits de violences conjugales, Wilfried Happo, qui participe aux Jeux. On n’est pas exemplaire là-dessus non plus et il y a encore des problèmes dans le monde sportif. Mais ce kit, c’est la première fois, et ça montre quand même que depuis 2020 pas mal de choses ont avancé.
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Cela montre-t-il une prise de conscience croissante du fait concernant la protection des spectateurs et spectatrices sur ces grands évènements ?
Oui, et également que c’est une protection qui doit intégrer les propos sexistes ou homophobes par exemple. Ce sont des choses qui émergent depuis peu, avec des personnes qui vont porter plainte, par exemple pour des palpations abusives à l’entrée des stades ou des agressions sexuelles dans les enceintes sportives. En matière de grands événements, il y a eu une prise de conscience l’été dernier, avec l’histoire de Jenni Hermoso, la capitaine de l’équipe d’Espagne de football, qui a été embrassée de force par le président de sa Fédération. Cette prise de conscience consiste à dire que l’effervescence n’autorise pas à faire n’importe quoi. Mais ce que veut dire aussi ce kit, c’est que l’organisation devient une ressource pour la personne agressée, c’est-à-dire que toute personne qui travaille sur l’événement est en position de recevoir une parole et d’orienter la personne.
Pensez-vous que les dispositifs qui sont en place sur ces JO de Paris contre les VSS produisent des résultats qui sont à la hauteur de l’enjeu ? Il y a ce kit, mais aussi plutôt du côté des athlètes la plateforme de signalements Signal Sport, mise en place par le ministère en 2020…
Pour les athlètes, il y a une demande qui a été faite par Sport & Rights Alliance au CIO pour instaurer un numéro d’appel ou un système de signalement qui soient véritablement opérationnels. Ça veut dire que quelque chose est fait, mais que les associations qui travaillent sur ces questions ne sont peut-être pas vraiment au courant, ou en tout cas considèrent que le CIO n’est pas assez au point sur la question. Concernant le kit, il faudra voir l’évaluation faite après coup, sans doute que le ministère des Sports communiquera sur l’usage qui en aura été fait. Mais ce que l’on peut déjà dire, c’est qu’il ne faut pas s’attendre à beaucoup de signalements pour autant. Si je fais la comparaison avec les établissements d’enseignement supérieur, ils ont tous aujourd’hui un dispositif d’écoute, mais même si les signalements augmentent, il y en a encore très peu compte tenu de ce que l’on sait de la prévalence des violences sexuelles chez les jeunes. Très peu de faits sont signalés, mais ce qui compte, c’est surtout que l’existence des dispositifs d’écoute et de signalement permet d’élever le seuil collectif de sensibilité et de vigilance et aussi de poser un cadre. Car là où le kit est vraiment efficace, c’est aussi qu’il va rester comme cadre et que des personnes pourront s’appuyer sur lui pour d’autres évènements, dans six mois, dans un an. Il y a une tendance qui se dessine, ce qui ne veut évidemment pas dire que tout est réglé, mais cette tendance permet la chose qui est peut-être la plus importante : rendre plus facile le fait de parler et surtout le fait de pouvoir être disponible à une parole, individuellement et collectivement. Plus cette vigilance se diffusera et plus les institutions sportives seront en mesure d’y répondre, mieux ça sera.
Justement, est-ce que les institutions sportives en France sont en mesure de répondre ?
Beaucoup de choses ont été faites. Du côté du ministère et du côté des fédérations aussi. Pas toutes, mais certaines ont pris les choses en main et créé des postes de personnes en charge de ces questions. Il faut maintenant que l’on parvienne à distinguer le rôle de chacun et de chacune, et aux différents étages : national, régional, local. C’est un gros travail, parce que pour l’instant, on est sur des dispositifs, par exemple Signal-Sport, qui est un dispositif national. Ce qu’il faut, c’est que chaque organisation prenne conscience de son niveau de responsabilité et s’engage en conséquence.
Prendre conscience de son niveau de responsabilité, ça veut dire deux choses : ne pas rejeter sur les autorités la possibilité d’agir, et ne pas rejeter non plus la responsabilité sur d’autres, en disant « : les violences, c’est dans la société, et le sport n’a pas vocation à tout régler. » Il y a des lieux et des organisations qui sont très attentifs à ces questions. Mais la question, c’est quels sont les moyens que l’on se donne ? Nos outils sont-ils les bons ? Comment peut-on s’engager dans la durée contre les violences ?
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Pour s’engager dans la durée contre les violences sexistes et sexuelles, comment les organisations peuvent-elles s’y prendre ?
Un bon outil pour ça, et qui n’est peut-être pas assez utilisé, c’est le plan d’action, qui permet d’agir à toutes les échelles et à différentes vitesses, en intégrant l’ensemble des domaines d’action : la prévention, la sensibilisation, la formation, la communication et la mise en place de dispositifs d’écoute. Il permet aussi le ciblage des publics qui est nécessaire car on ne fait pas la même chose avec les cadres, avec les techniciens, avec les parents, avec les jeunes dans une même structure.
Concrètement, admettons que je devienne président d’une fédération et que j’ai un mandat pour quatre ans, je peux très bien dire : « Voilà mon plan d’action sur les violences sexuelles, les violences de genre et les discriminations, et voici ce que je mets en place en termes de formation, de prévention, d’actions, d’événements, etc. » On va balayer l’ensemble des actions à mener, des partenaires, des publics cibles, tout cela de manière évolutive, et on va mailler le territoire pour pouvoir tout faire en amont pour que les violences n’arrivent pas, mais on va aussi penser l’aval pour traiter ces violences si elles se produisent.
L’accompagnement est probablement le rôle clé que peut avoir ces institutions…
Un plan d’action, ça peut se faire à tout moment, au niveau d’une fédération, d’une ligue, d’un district, d’un club. Et c’est peut-être le rôle des institutions aujourd’hui d’accompagner au mieux les organisations locales qui voudraient mettre des choses en place car je constate que de nombreuses personnes très volontaires pour lutter contre les violences et les discriminations de genre ont tendance à tout refaire à zéro, à être isolées, alors que beaucoup de choses existent. Une perspective utile pour l’avenir, c’est de travailler en réseau, de se servir des compétences qui existent déjà localement. On en a des exemples, je pense notamment à ce qui se fait en Ardèche, où un projet est mené en collaboration avec les services déconcentrés de l’État qui mobilise le réseau qui a l’habitude de travailler avec les jeunes. Mais là où je pense qu’il nous reste un énorme travail à faire, c’est sur la culture, sur les manières de se comporter, sur ce que c’est d’être en relation avec quelqu’un, de draguer quelqu’un, de sortir avec quelqu’un quand on fait la fête, d’avoir une relation sexuelle consentie, etc. Toutes ces questions, il faut qu’on les travaille sérieusement, et ça, ce n’est pas propre au sport, mais c’est important de savoir que dans le sport, il y a des contextes à risque.
Concrètement, cette question de la culture, est-ce que l’on arrive à la penser et à la traiter en France ?
Très souvent, on se contente de faire de la sensibilisation, mais la sensibilisation, c’est souvent aussi quelque chose qui permet de se dédouaner, de ne plus rien faire après ou pas grand-chose. On va sensibiliser sur des questions sur lesquelles tout le monde est d’accord, mais le problème ce n’est pas ça, c’est qu’est-ce qui fait que dans une interaction, ce type de comportement est possible ? Quelles sont les situations ou les contextes à risque ? Je pense qu’il y a un gros travail à faire sur ce qui génère la violence. Ça amène à réfléchir aux dimensions interactionnelles, mais aussi à des questions identitaires : c’est quoi être un homme ? C’est quoi être une femme ? Donc l’autre aspect à mener, c’est effectivement tout le travail sur la culture et l’éducation à l’interaction consensuelle entre les personnes.
Par exemple, j’ai été très marqué par les violences sur les réseaux sociaux autour de la boxeuse algérienne Imane Khelif, avec des choses fausses et des mensonges qui sont propagés et qui servent à attaquer cette femme en disant que ce n’est pas une vraie femme. En fait, il y a tout un tas de confusions qui se jouent autour du fait d’être une femme dans le sport de haut niveau, et d’être une femme qui ne rentre pas dans les codes dominants de la féminité, et ça aussi c’est une violence. Cela fait apparaître qu’il y a, vis-à-vis du traitement des femmes dans le sport, quelque chose qui est assez compliqué. En tant que femme sportive, on est plus exposée et plus vulnérable aux agressions, et plus on va vers le haut niveau, plus on a de risque d’être exposée à des violences sexistes ou sexuelles.
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Justement, qu’est-ce qui fait que quand on est une femme athlète, on a plus de chances d’être exposée au risque de violence ?
En fait, c’est une combinaison des facteurs de risque qui est à penser dans le sport. L’exposition à un risque est liée à un contexte, et il y a des contextes qui sont plus à risque que d’autres, donc pour comprendre ce qui fait que certaines personnes sont plus exposées à un risque, il faut justement analyser les situations dans lesquelles elles se retrouvent. Par exemple, on sait qu’en milieu étudiant l’exposition aux violences est plus grande aux deux bouts de la chaîne, en première année et quand on fait une thèse, parce que cela s’accompagne de contextes spécifiques. Les étudiants de première année arrivent souvent dans un contexte qu’ils ou elles ne connaissent pas : premier appartement ou chambre seul·e, absence de réseau amical bien structuré, soirées festives et bizutages, dont on sait que ce sont des espaces de plus grande exposition au risque d’agression sexuelle.
C’est la même chose si je suis dans un pôle France, dans un CREPS (Centres de ressources, d’expertise et de performance sportive) : je vais peut-être être en famille d’accueil, loin de chez mes parents, dans une situation d’isolement éventuelle. Il peut aussi y avoir les soirées alcoolisées, et tout ça entraîne la possibilité de créer des situations de plus grande exposition au risque. Et plus on va vers le haut niveau, plus on risque d’être exposé à des violences, c’est comme pour les doctorats, parce que ça crée des situations spécifiques, notamment avec la relation au directeur ou à la directrice de thèse ou au coach : des relations duelles, dans lesquelles il y a une grande intensité émotionnelle, mais aussi un rapport de pouvoir. Il y a là toute la question de l’emprise, qui si elle se crée, peut être intellectuelle, morale, physique, sexuelle. Si on combine ça, par exemple, avec le fait d’avoir en plus un handicap cognitif ou d’être étrangère, avec des difficultés éventuelles de communication, on va avoir des personnes plus exposées à un risque, et surtout plus en difficulté pour s’en extraire si quelque chose se passe.
Pour vraiment avancer sur les VSS, quelles sont les pistes que vous proposez ?
Je crois qu’il y a encore un gros travail à faire en matière de formation. Mais la formation, ce n’est pas juste arriver et faire 1h30 de diaporama sur les violences, c’est travailler à la transformation des manières d’agir professionnellement. Très souvent, toutes les violences qui se produisent ne sont pas comprises comme telles. Or, quand on fait vraiment de la formation, des prises de conscience se produisent. Depuis mars 2022, il y a l’obligation pour les cadres et les techniciens sportifs de recevoir une formation sur les violences sexuelles. Ça veut dire qu’il y a un cadre politique, théorique et pédagogique, mais je pense qu’il faut aller plus loin sur ce que sont réellement les violences sexuelles. Et pour cela, il faut que l’on s’appuie dans le sport sur des compétences qui ne sont pas uniquement sportives, travailler avec des structures vraiment spécialisées sur la prévention des violences sexuelles, les violences de genre, les violences basées sur l’orientation sexuelle. Je pense aussi qu’il faut aller vers des formations intégrées, c’est-à-dire intégrer les questions de violences de genre et de discrimination plutôt que de simplement proposer une formation spécifique sur les violences sexuelles ou sur les discriminations.
Enfin, je dirais qu’il est urgent de former au niveau des fédérations. Aujourd’hui, une fédération va nommer quelqu’un pour s’occuper des violences, de l’égalité, de la féminisation. Mais lorsque cette personne arrive, comment son propos est-il reçu si l’environnement n’est pas formé ? Former les dirigeants au plus haut niveau, c’est indispensable, car comment être moteur d’une fédération si l’on n’a pas déjà une vision solide des violences sexuelles, des violences de genre et des discriminations ? Former et sensibiliser les jeunes, ça ne suffit pas, il faut aussi former les personnes qui ont des compétences en matière de décision. Il faut agir à toutes les échelles et pour tous les acteurs.
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Quel regard portez-vous sur la proposition de la commission parlementaire [sur les défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport], d’une autorité administrative indépendante (AAI) chargée de la protection de l’éthique du sport, dans son rapport rendu en janvier ?
L’intérêt de cette commission, c’est que les victimes ont rendu compte de ce qu’elles avaient vécu et qu’elle a fait apparaître des dysfonctionnements qu’il faut prendre en compte. Je pense qu’il faut voir ce rapport comme un outil. Il y a eu trois rapports, dont celui-ci, qui sont sortis en l’espace de quelques mois, et les trois font la proposition d’une structure indépendante, et personnellement, j’y suis plutôt favorable. Ça existe aux États-Unis, ou en Europe aux Pays-Bas par exemple. Le problème, c’est qu’en France, on a tendance à voir ça comme une commission indépendante qui serait là simplement pour punir les gens. Mais une commission indépendante aurait une double fonction : identifier des violences et produire des données, mais aussi proposer des ressources en matière de prévention. Ce n’est pas quelque chose qui va supplanter la justice, ou se substituer au ministère ou aux fédérations : c’est un outil qui fonctionnerait en indépendance vis-à-vis des deux. Ça peut être aussi un peu le modèle de l’agence antidopage, financée à la fois par l’État et par les fédérations, ou du Défenseur des Droits. L’indépendance, dans ces cas-là, est effectivement plutôt une bonne chose.
Philippe Liotard a coordonné avec Olivier Coste l’ouvrage Violences sexuelles et sport : L’essentiel pour agir, publié en juin dernier aux éditions Elsevier Masson.
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